1731-05-15, de Jean Baptiste Nicolas Formont à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous écris au nom de mr de Cidville et au mien pour vous marquer Combien nous sommes fâchés de vous avoir quitté.
Nous vous avons fait infidélité pour le primptemps que nous venions chercher icy, mais nous avons esté attrapés car nous n'y avons trouvé que la fin de L'hiver.

Borée a trop longtemps tiranisé ces plaines
Et flore attend pour se montrer
Que zephire, empressé de Reprendre ses chaines,
Par de tendres Baisers vienne La Rechauffer.

Nous menons une vie fort tranquille et Les jours nous paroissent assés courts. Pour moy, j'ay le secret de les abréger en faisant les nuits fort Longues et je n'ay jamais pu jouir des Beautés du matin dont j'entends toujours dire mille choses admirables que je n'ay point encor vuës.

L'aurore est trop tôt éveillée
Et quand de pleurs toute mouillée
Elle cherche L'objet dont son cœur est épris
Cephale et moy nous sommes endormis.

Je suis au désespoir que vous ne puissiés pas venir icy. C'est un vray séjour pour un poète philosophe, des Toicts humbles et des arbres orgeuilleux; d'ailleurs il me semble qu'on pense plus Librement à la campagne. La philosophie ne se trouve que dans Les déserts et fuit les Villes ou L'on voit tant de clochers qui sont les enseignes de son ennemie pour moy.

Dans cette aimable solitude
Eloigné du trouble et du Bruit
Je ne mets toute mon étude
Qu’à Receuillir L'utile fruit
D'une sage philosophie,
Qui sans s'efforcer vainement
De Démesler des corps l'exacte simétrie
Ou d'arranger Le firmament
Des Biens autour de moy placés par La nature
M'apprend à faire mon Bonheur
Et ne se fait point un honneur
D'exercer tristement son austère censure
Sur nos plus innocens plaisirs.
Ainsi par ses avis que dictoit Epicure
Je tâche à Régler mes désirs
Et ne m'occupe point des songes du portique
Qui tout fier d'annoncer d'affreuses vérités
Vient dans la morale Caustique
Combattre en nous des goûts par Le ciel inspirés
Et qui sans nos efforts sont assés tôt usés.

Je crains Bien que cet impromtu de prose Rimée ne me Brouillent avec vous et que vous ne vouliés Rompre avec un homme qui fait de pareilles insultes à votre art. Les favoris comme vous des grandes muses n'entendent pas Raillerie. Pour mr de Cideville qui n'a encor fait sa cour qu’à celles qui sont moins graves, il est plus traitable.

Des doctes sœurs avant ce jour
Je n'avois point grossi la trop nombreuse cour,
Mais à vous des François le Virgile sublime
Comment oser écrire à moins que l'on ne Rime.

Au surplus je vous prie de ne faire attention qu’à ma prose, que je choisis comme le Langage de la vérité pour vous assurer que personne n'a plus d'admiration que moy pour vos talens, plus d'estime et de goût pour vos autres qualités qui indépendamment de La Henriade auroint fait de vous un homme Rare et qui vous Rendent si aimable et si solide en même temps dans La société.