[May 1731]
Je vous écris au nom de mr de Cidville et au mien pour vous marquer Combien nous sommes fâchés de vous avoir quitté.
Nous vous avons fait infidélité pour le primptemps que nous venions chercher icy, mais nous avons esté attrapés car nous n'y avons trouvé que la fin de L'hiver.
Nous menons une vie fort tranquille et Les jours nous paroissent assés courts. Pour moy, j'ay le secret de les abréger en faisant les nuits fort Longues et je n'ay jamais pu jouir des Beautés du matin dont j'entends toujours dire mille choses admirables que je n'ay point encor vuës.
Je suis au désespoir que vous ne puissiés pas venir icy. C'est un vray séjour pour un poète philosophe, des Toicts humbles et des arbres orgeuilleux; d'ailleurs il me semble qu'on pense plus Librement à la campagne. La philosophie ne se trouve que dans Les déserts et fuit les Villes ou L'on voit tant de clochers qui sont les enseignes de son ennemie pour moy.
Je crains Bien que cet impromtu de prose Rimée ne me Brouillent avec vous et que vous ne vouliés Rompre avec un homme qui fait de pareilles insultes à votre art. Les favoris comme vous des grandes muses n'entendent pas Raillerie. Pour mr de Cideville qui n'a encor fait sa cour qu’à celles qui sont moins graves, il est plus traitable.
Au surplus je vous prie de ne faire attention qu’à ma prose, que je choisis comme le Langage de la vérité pour vous assurer que personne n'a plus d'admiration que moy pour vos talens, plus d'estime et de goût pour vos autres qualités qui indépendamment de La Henriade auroint fait de vous un homme Rare et qui vous Rendent si aimable et si solide en même temps dans La société.