1774-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de Saint-Lambert, marquis de Saint-Lambert.

Il me semble, Monsieur, que vous vous y prenez de bonne heure.
Vous auriez été un éxcellent général; vous avez vos magasins tout prêts avant que la campagne soit ouverte. J’aime à vous voir lutter contre Lucrece et contre L’abbé de Chaulieu. Hominum divumque voluptas, est une grande Dame, qui mérite assurément qu’on lui écrive un petit mot. Vous lui envoiez une Lettre dont elle doit être fort contente, pour peu qu’elle ait de goût et d’esprit. Vous la connaissez très bien cette Dame; elle aime qu’on varie son style, sa cadence, ses images; vous la servez à merveille. Monsieur Le prince de Beauvau doit être aussi content qu’elle; tout ce que vous en dites est charmant.

S’il y avait un homme tel que vous peignez le vieillard du lac Leman en vers tels qu’on n’en a jamais fait au bord de ce lac, certainement ce vieillard là rajeunirait pour vous remercier, et il babillerait sa reconnaissance comme ces bonnes gens dont vous dites

Ils seront tous diffus et peut être un peu sourds,
Et se pardonneront de ne se point entendre.

Puisque vous dites que vous vous amusez quelquefois entre Montagne et la pucelle, je voudrais bien vous envoier une pucelle d’une nouvelle édition, plus correcte, plus châtiée, plus voluptueuse peut être et plus insolente que toutes les autres. Mandez moi si je pourais vous l’envoier par la poste sous le couvert de Monsieur Le Prince de Beauvau. Le paquet serait un peu gros, il serait de deux bons doigts d’épaisseur. On le ferait partir par la poste de Lyon, je crois qu’il ne faudrait pas qu’il fût relié. Voiez si vous avez quelque voie plus sûre.

Adieu, Monsieur, mes tendres compliments à vous et à vos amis.

Vous ne me dites rien de cette canaille de Clément et de Sabatier. Cependant, ces marauts sont soutenus par une cabale puissante. Ce ne sont pas les monstres qui nuisent, ce sont ceux qui les nourissent dans leurs loges. Les protecteurs d’un animal comme Clément sont beaucoup plus coupables que lui.