6 août 1755
J'ai fait une promenade jusqu'à Genève.
J'y ai vu le seigneur Voltaire, bien établi aux portes de cette sainte cité, faisant de très bonne grâce une très grande dépense. On en est très content, & je vous avoue que j'ai été fort satisfait de lui. Il m'a paru amical & obligeant. Il a donné toutes ses œuvres à mrs. les libraires Cramer qui se préparent à en faire une édition en 16 ou 18 volumes in 8. L'auteur travaille avec une étonnante application à son histoire universelle, qu'il liera avec son siècle de Louis XIV. Il n'aime guère la compagnie que sur les six heures du soir: ses connaissances restent à souper & couchent chez lui, parce qu'on ferme les portes de la ville. Il a donné chez lui une nouvelle tragédie, Gengis-kan. Les évènements sont chinois. L'hiver prochain elle sera représentée à Paris. Il a composé une épître sur la campagne, le lac Leman, & la liberté, où il y a des beautés & quelques négligences. La cour de Savoie s'est offensée d'un trait sur Amédée, pape ou anti-pape, sous le nom de Felix v. Elle a écrit à Genève, où l'on a ordonné la suppression de la pièce. J'ai trouvé cette cour bien chatouilleuse. Peut-être n'avez-vous pas vu la pièce: je vais transcrire le passage.
J'ai fait vos compliments à m. de V. comme vous le désiriez; il les a reçus certainement avec plaisir, & il me charge de vous en faire. Nous parlâmes de vous, il admire vos talents & votre facilité, & ajouta que vous n'étiez pas pensionné à raison de vos travaux & de votre mérite….