1757-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville.

Votre roman mon cher Catilina fait les délices des Délices.
Nous l'avons reçu contresigné Trudaine et nous l'avons dévoré. Madame Denis serait bien plus propre que moy à vous détailler tout ce qui nous a fait plaisir. Les nièces entendent mieux que les oncles à rendre compte des sentiments. Elles ont des délicatesses que les vieux oncles n'ont pas. Elle vous écrirait vingt pages si elle n'était pas un peu malade. Pour moy je m'imagine que vous viendriez faire un second Roman aux Délices, si vous n'étiez pas enchainé à Neuilli. Vous verriez si les bords du lac Leman, tout Leman qu'il est, ne valent pas bien ceux de la Seine. Aureste croiez que je n'ay pas plus d'envie de me mesler des affaires de votre téâtre, que de celles de la Boheme, et j'espère que M. Dargental secondera par sa sagesse mon goust pour le repos. Je n'ay que trop été livré au public, et j'aime mieux m'amuser sans regret avec mes Suisses que de m'exposer à votre parterre. Il faut avoir l'esprit de son âge et finir tranquilement sa carrière. Jouissez des plaisirs de la vôtre et tandis qu'on se bat en Amerique et en Europe, sur l'océan et sur la Mediteranée, vivez guaiment à Neuilli. Continuez à mettre dans vos ouvrages les agréments de votre vie. Les deux hermites des Délices s'intéressent à vos plaisirs, mais ma compagne vous le dira mieux que moy.

V.