1759-12-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

J'ay deux grâces à vous demander ma chère philosophe, les quelles ne tiennent en rien à la philosophie; la première c'est de vouloir bien m'envoyer un second exemplaire de la mort et de l'apparition de mon cher frère Bertier; la seconde de vouloir bien vous abbaisser en ma faveur jusqu'à jetter un coup d'œil sur les misérables affaires de ce monde matériel et de me dire si les actions des fermes sont un effet qui puisse et qui doive subsister.
Ce sont deux propositions de théologie et de finance dont je suis honteux. Le paquet Bertier pourait être contresigné Bouret, car ce cher et bienfaisant Bouret a la bonté de me contresigner tout ce que je veux. Ma respectable philosophe vous êtes bien tiède; quoy! vous et le profète de Boheme vous êtes à Paris et l'infâme n'est pas encor anéantie? Il faudra que je vienne travailler à la vigne.

Ma chère philosophe vous n'avez pas eu de confiance en moy et vous l'avez prodiguée à des prêtres genevois. Vos lettres courent Geneve. Je suis obligé de vous en avertir. Je vous aime. Vous avez été déjà la duppe d'un genevois. Ah ma philosophe ne vous fiez qu'aux solitaires comme moy et aux bohemiens. Ne me trahissez pas, mais tâchez de ratrapper tous vos exemplaires. Votre fils serait un jour désespéré si cela transpirait.

Mandez moy je vous en prie comment vont les affaires publiques. Ce n'est pas curiosité c'est nécessité. Je suis dans la même barque que vous. Il est vray que j'y suis à fonds de calle, et vous autres au timon, mais nous sommes battus des mêmes vents. Ma belle philosophe vous êtes vraye, mettez moy au fait je vous en prie, et daignez conserver quelque amitié pour l'hermite.