1755-10-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à César Chesneau Dumarsais.

Je bénis les Chinois, et je brûle des pastilles à Confucius, mon cher philosophe, puisque mon étoffe de Pekin vous a encore attiré dans le magasin d'Adriene.
Nous l'avons vue mourir, et le comte de Saxe devenu depuis un héros, et presque tous ses amis. Tout a passé, et nous restons encore quelques minutes sur ce tas de boue, où la raison et le bon goût sont un peu rares.

Si les Français n'étaient pas si français, mes Chinois auraient été plus chinois, et Gengis encore plus tartare. Il a fallu appauvrir mes idées et me gêner dans le costume pour ne pas effaroucher une nation frivole qui rit sottement, et qui croit rire gaiement de tout ce qui n'est pas dans ses mœurs, ou plutôt dans ses modes.

M. le comte de Lauraguais me paraît au dessus des préjugés, et c'est alors qu'on est bien. Il m'a écrit une lettre dont je tire presque autant de vanité que de la vôtre. Il a dû recevoir ma réponse adressée à l'hôtel de Brancas. Il pense, puisqu'il vous aime. Cultivez de cet esprit là tout ce que vous pourrez; c'est un service que vous rendez à la nation. Vivez, inspirez la philosophie.

Nous ne nous verrons plus, mais se voit on dans Paris? Nous voilà morts l'un pour l'autre, j'en suis bien fâché. Je trouve quelques philosophes aux pieds des Alpes, toute la terre n'est pas corrompue.

Vous vivez sans doute avec les encyclopédistes, ce ne sont pas des bêtes que ces gens là, faites leur mes compliments, je vous en prie. Conservez moi votre amitié jusqu'à ce que notre machine végétante et pensante retourne aux éléments dont elle est faite.

Je vous embrasse en Confucius, je m'unis à vos pensées, je vous aime toujours au bord de mon lac, comme lorsque nous soupions ensemble. Adieu, on n'écrivait ni à Platon ni à Socrate, votre très humble serviteur.