à Ferney 7e avril 1771
Mon charmant confrère, je suis de vôtre avis dans tout ce que vous m’écrivez dans vôtre Lettre non datée.
Ce petit procureur de Dijon ne gagnera pas son procez, ou je me trompe fort. Il rend des arrêts comme le parlement sans les motiver. Il est bien fier ce Clément, c’est un grand homme. Il lut il y a deux ans une tragédie aux comédiens qui s’en allèrent tous au second acte. Voilà les gens qui s’avisent de juger les autres. J’aurai l’honneur de lui rendre incessamment la plus exacte justice.
J’ai trouvé bien de la noblesse et de la décence dans le discours de Mr le prince de Beauvau. Ce qui m’a surtout enchanté c’est l’art avec lequel il a sçu louer son ami mr Le Duc De Choiseul en louant le Roi.
On m’a envoié de Lyon des écrits sur les affaires du tems qui n’ont pas été faits par messieurs des enquêtes. Il y a un homme à Lyon dont les ouvrages passent quelquefois pour les miens. On se trompe entre ces deux sosies. Je voudrais que chacun prit franchement ce qui lui apartient, mais il y a des occasions où l’on fait largesse de son propre bien aulieu de prendre celui d’autrui. Quoiqu’il arrive je suis Choiseulliste et ne suis point parlementaire. Je n’aime point la guerre de la fronde, attendu que les premiers coups de fusil ne manqueraient pas d’estropier la main des païeurs des rentes; et deplus j’aime mieux obéir à un beau Lyon qui est né beaucoup plus fort que moi, qu’à deux cent rats de mon espèce. Je trouve d’ailleurs l’établissement des nouveaux conseils admirable. Clément, en qualité de procureur de Dijon, poura écrire contre eux tant qu’il voudra. Pour moi, je vais écrire contre les neiges qui couvrent encor nos montagnes, et qui me rendent entièrement aveugle.
Bonsoir mon charmant confrère; conservez bien le goût de la littérature; il est infiniment préférable à la rage des tracasseries de cour. Soiez bien persuadé que je sens tout vôtre mérite. Je ne suis pas, Dieu merci, des barbares antipoëtiques.