à Ferney 20e xbre 1773
Monseigneur,
Je commence par vous demander pardon de ce que je vais avoir l'honneur de vous écrire.
Vous avez méprisé avec tous les honnêtes gens du roiaume, plus d'un libelle écrit par la canaille et pour la canaille. L'abbé Mignot, outragé comme vous dans ces libelles, écrits probablement par quelque laquais d'un ancien parlementaire, a suivi vôtre exemple, et peut être même ni vous, Monseigneur, ni lui, n'avez daigné jetter les yeux sur ces misérables écrits. Cependant, il y a des calomnies qui ne laissent pas de faire quelque tort à la magistrature, et quand on en connait les auteurs, quand ils mettent eux mêmes leur nom à la tête d'un brochure, j'ose croire qu'il est permis de vous en demander la supression.
On avait dit dans deux libelles contre vous et contre vôtre parlement que l'abbé Mignot est le petit fils du pâtissier Mignot dont Boileau dit dans ses satires
Je ne sais pas si en effet cet homme était un si mauvais cuisinier, ni même si ces vers de Boileau sont si bons, mais je sais que mon neveu est le fils d'un correcteur des comptes, petit fils, et arrière petit fils de secrétaires du Roi, et que sa famille annoblie depuis plus de cent cinquante ans, établit la manufacture des draps de Sedan, et fut par conséquent plus utile au roiaume que le feseur de petits pâtés.
Cependant un nommé Clément, fils d'un procureur de Dijon, qui n'exerce plus depuis 1771, s'avise de répéter cette sottise dans une brochure littéraire à moy adressée, intitulée quatrième lettre à M. de Voltaire, par mr Clement à Paris chez Moutard libraire de madame la dauphine rue du Hurepoix à st Ambroise. Ce Clement, chassé de Dijon et demeurant à Paris, a été déjà mis en prison par la police.
Il dit page 83 que le pâtissier Mignot est mon oncle. Je ne serais pas fâché d'avoir eu pour oncle un traiteur si on avait fait bonne chère chez lui, mais dans un ouvrage de littérature imprimé avec permission, et que tout le monde lit, cette petite calomnie jette un très grand ridicule sur la tête à cheveux blancs d'un conseiller de grand chambre, et avilit un corps que vous avez voulu honorer.
Les libelles contre les grands sont des grains de sable, qui ne peuvent aller jusqu'à eux, mais les libelles contre de simples citoiens sont des cailloux qui leur cassent quelquefois la tête.
Je finis comme j'ay commencé, par vous demander pardon de vous importuner pour cette misère.
Je suis avec le plus profond respect et le plus sincère attachement
Monseig.
V.