1773-12-04, de Claude Henri de Fuzée de Voisenon à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon divin ami, je reconnais dans l'auteur de la Tactique le bienfaiteur de tous ceux qui liront la vôtre.
La sienne est pour les serviteurs du roi, celle que vous m'avez envoyée est pour les serviteurs d'Apollon; il y a longtemps que j'en fais l'office en récitant vos hymnes; envoyez m'en souvent, afin que je puisse grossir votre bréviaire du goût, qui aura toujours pour titre: pars vernalis. Je ne puis mieux vous marquer ma reconnaissance, mon divin ami, qu'en joignant ici la tactique de l'amour; elle est composée par une femme charmante, que les autres femmes voudraient bien faire passer pour une bête; vous verrez la preuve du contraire, écrite par elle même. A cette pièce, qui est de l'or sans alliage, j'ajoute une trentaine de vers de moi; c'est le sac de sous qu'on donne dans les paiements. Je ne veux pas les multiplier par la prose. Je plains mesdames D'Arnay & de Chanorier de n'avoir pas vu le saint de leur pélerinage, et je ne serai plus l'oncle de mon neveu, s'il diffère de remplir un devoir dont je voudrais m'acquitter tous les jours de ma vie. Je crois que vous aimez mieux l'écriture de mon secrétaire que la mienne. J'ai perdu les yeux pour le bonheur des vôtres.

PRODIGE de tous les talents,
Homme étonnant, divin VOLTAIRE,
Ta muse est toujours au printemps;
Et bien loin d'être octogénaire,
Elle arrête la faux du temps.
Dans tes vers, ou forts, ou charmants,
Je lis ton extrait baptistaire;
Tu n'as encore que vingt ans.
Le plus grand fléau de la terre,
Dans ton ouvrage est séduisant;
Ton pinceau terrible et plaisant,
A tous les honneurs de la guerre;
Tu rends l'effroi même amusant.
La gaieté, cette enchanteresse,
Que l'on ne viole jamais,
Répand sur tout ce que tu fais
Le coloris de la jeunesse,
Et fuyant l'éclat des palais,
Pour fuir un sommeil léthargique,
Les cède à l'ennui magnifique,
Qui les fait bâiller à grands frais:
On la bannit quand on l'appelle;
La liberté fait ses atours,
Les plaisirs pompeux sont toujours
Des lettres de cachet pour elle.
Emprunte ses heureux secours,
Qu'elle prolonge & qu'elle épure
De tes ans le paisible cours;
Quand tu prends soin de sa parure,
Qu'elle prenne soin de tes jours.