1776-10-03, de François de Chennevières à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai été bien malade pendant deux ans, mon Illustre amy, et c'est ce qui m'a empêché de vous renouveller mon dévouement et mon sincère attachement; Je commence à me mieux porter et à vous demander des nouvelles de votre santé et de celles de madame Denis que j'assure de mon respect.
La maladie chasse les Muses, et elles reviennent quand on se porte mieux. Je commence à m'en apercevoir. C'est à vous qu'on doit l'hommage de leurs fruits, je vous envoye deux petits morceaux qu'elles m'ont inspiré, le premier est un Quatrain que j'ai adressé à un Jeune homme qui m'a envoyé une Epitre Boursouflée.

L'Esprit fut en tout tems le fils de la Nature,
Il faut, dans ses atours, de la Simplicité;
Ne lui donnez jamais de trop grande parure,
Quand on veut trop l'orner, on gâte Sa Beauté.

L'autre est L'Epigramme Cy jointe.

Clitandre n'aime que lui même,
Il n'a jamais connu la douceur d'obliger;
Le sort des malheureux ne sauroit l'affliger.
De secourir quelqu'un dans une peine extrême
Il n'a pas le moindre désir.
Privé de Sentiment et de délicatesse,
On croit qu'il Cesseroit de baiser sa maitresse
S'il croyoit lui faire plaisir.

Je fais continuellement des voeux pour la Conservation d'un homme qui fait tant d'honneur au siècle et à l'humanité, et personne, mon Illustre ami, ne vous aime, vous admire, et ne vous respecte plus que moi.

Chennevieres commissaire ordonnateur et ancien premier Commis de la Guerre

Je suis depuis le Commencement du Printems dans ma Solitude, j'y goûte les douceurs du repos et de la Liberté. Je retournerai au mois de Novembre dans le Séjour des orages, je ne suis plus dans le Cas de les craindre et je verrai tout ce qui se passera à la Cour comme les objets que la Lanterne magique nous montre.