1741-04-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Non, il n'est point ingrat, c'est moi qui suis injuste;
Il fait des vers, il m'aime; et ce héros auguste,
En inspirant l'amour, en répandant l'effroi,
Caresse encor sa muse, et badine avec moi.
Du bouclier de Mars, il s'est fait un pupitre;
De sa main triomphante il me trace une épître,
Une épître où son cœur a paru tout entier,
Je vois le bel esprit, et l'homme, et le guerrier.
C'est le vrai coloris de son âme intrépide.
Son style, ainsi que lui, brillant, mâle et rapide,
Sans languir un moment, ressemble à ses exploits.
Il dit tout en deux mots, et fait tout en deux mois.
O ciel ! veillez sur lui, si vous aimez la terre:
Ecartez loin de lui les foudres de la guerre
Mais écartez surtout les poignards des dévots.
Que le fou Loyola défende à ses suppôts
D'imiter saintement, dans les champs germaniques,
Des Châtels, des Cléments les forfaits catholiques.
Je connais trop l'église et ses saintes fureurs.
Je ne crains point les rois, je crains les directeurs.
Je crains le front tondu d'un cuistre à robe noire,
Qui du vieux testament lisant du nez l'histoire,
D'Aod et de Judith admirant les desseins,
Prêche le parricide, et fait des assassins.
Il sait d'un fanatique enhardir la faiblesse.
Un sot à deux genoux, qui marmote à confesse
La liste des péchés dont il veut le pardon,
Instrument dangereux dans les mains d'un fripon,
Croit tout, est prêt à tout; et sa main frénétique
Respecte rarement un héros hérétique.