[c. 1 January 1768]
Bonjour & bon an au patriarche de Ferney, qui ne m'envoie ni la prose ni les vers qu'il m'a promis depuis six mois.
Il faut que vous autres patriarches vous ayez des usages & des mœurs en tout différents des profanes; avec des bâtons marquetés vous tachetez des brebis & trompez des beaux-pères; vos femmes sont tantôt vos sœurs tantôt vos femmes, selon que les circonstances le demandent; vous promettez vos ouvrages & ne les envoyez point: je conclus de tout cela qu'il ne fait pas bon se fier à vous autres, tout grands saints que vous êtes. Et qui vous empêche de donner signe de vie? Le cordon qui entourait Genève & Ferney est levé, vous n'êtes plus bloqués par les troupes françaises, & l'on écrit de Paris que vous êtes le protégé de Choiseul. Que de raisons pour écrire! Sera-t-il dit que je recevrai clandestinement vos ouvrages & que je ne les tirerai plus de source? Je vous avertis que j'ai imaginé le moyen de me faire payer; je vous bombarderai tant & si longtemps de mes pièces, que pour vous préserver de leur atteinte vous m'enverrez des vôtres. Ceci mérite quelques réflexions. Vous vous exposez plus que vous ne le pensez. Souvenez vous combien le dictionnaire de Trévoux fut fatal au Père Bertier; & si mes pièces ont la même vertu, vous bâillerez en les recevant, puis vous sommeillerez, puis vous tomberez en léthargie, puis on appellera le confesseur, & puis &c. &c. &c. Ah! patriarche, évitez d'aussi grands dangers, tenez moi parole, envoyez moi vos ouvrages, & je vous promets que vous ne recevrez plus de moi ni d'ouvrages soporifiques ni de poisons léthargiques, ni de médisances sur les patriarches, leurs sœurs, leurs nièces, leurs brebis & leur inexactitude, & que je serai toujours avec l'admiration due au père des croyants &c.