à Ferney ce 2e juin 1773
Je suis tenté, mon très cher philosophe, de croire avec messieurs de l’antiquité, qu’il y a des jours, des mois et des années malheureux.
Mon étoile est en effet très désastreuse cette année. Je ne sais pas ce que sont devenus les quatre exemplaires que je vous annonçais, mais j’ai reçu un ordre en forme de conseil, de ne plus envoyer par la voie que j’avais choisie, et qui seule me restait.
Mon étoile s’est encore chargée de la singulière ingratitude d’un homme de qui je devais attendre de bons offices; il m’avait tout promis, et vous savez ce qu’il m’a tenu. Vous ne savez pas tout, je ne puis dire tout, mon étoile est devenue une comète qui annonce un peu ma destruction. S’il est vrai qu’une comète puisse incendier la terre je serai sûrement un des premiers brûlés.
Le maraud qui s’est avisé de vous écrire est un fripon de Normand formé autrefois par l’abbé Desfontaines, autre Normand; je ne sais qui des deux était le plus impudent, je crois pourtant que c’était l’abbé Desfontaines, parce qu’il était prêtre. J’ai eu la bêtise de lui faire des aumônes très considérables dont j’ai même les reçus. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à Nonotte qui voulait me vendre son libelle deux mille écus. Voilà comme la basse littérature est faite. Le malheureux dont vous me parlez vend du baume dans les pays étrangers, et m’arrache de l’argent par toutes sortes de moyens.
Pour les vendeurs ou vendeuses d’orviétan qui tantôt vous préviennent, et tantôt font les difficiles, il est bien clair qu’ils ne valent pas mieux que nos fripons subalternes; que faire à cela encore une fois? Se cacher dans un antre et cultiver les laitues qui croissent dans son ermitage; tous ces fléaux du genre humain mourront comme nous; c’est une petite consolation.
Je n’aime point du tout Ovide de Ponto, mais j’estime assez Chéréas; J’estime encore plus ceux qui daignent instruire les hommes et leur plaire; c’est votre lot. Celui de Raton est d’aimer Bertrand de tout son cœur.
V.