rue ste Croix de la Bretonerie ce 10 avril [1773]
Monsieur,
J’ai lu avec la plus vive reconnoissance vostre lettre trop honneste.
Vous, me demander mon amitié! qu’en avez vous besoin? Mais la vostre à qui n’est elle pas précieuse? Oui, monsieur, j’avois bien à cœur que vous ne me crussiez pas le complice de M. Falconet; et si vous le voulez bien j’userai de vostre lettre pour détromper le public qui n’a pas de mon stile la bonne opinion que vous avez bien voulu en prendre, puisqu’il me croit capable de l’avilir par de plattes boufoneries: L’ouvrage dont je vous ai parlé est sous presse. On l’a montré à tout le monde excepté à moi; Linguet y est déchiré cruellement; […] n’a pas osé l’imprimer. Le public jouira de cette guerre comme la populace qui entoure deux dogues en fureur l’un contre l’autre; pour moi je ne me donnerai point en spectacle. Je ne paroitrai dans cette affaire si étrange que comme avocat. Je ne servirai ni la colère des parties outragées par Linguet, ni la jalousie de ses rivaux.
Falconet a un stile moins noble, moins élevé que son adversaire, mais il est semé de plus de méchancetés, l’un frape, l’autre déchire. Falconet a de plus que Linguet une haine ardent, une indignation, un resentiment qui le tourmentent sans cesse. Le reproche qu’il lui a fait de n’avoir aucune existence est un eguillon qui le rend furieux.
Pour vous monsieur qui este si élevé, à peine verrez vous ces combatants qui se terrasseront à vos pieds; vous avez déclaré la guerre au fanatisme, à l’intolérance, à la superstition. Dumoins l’humanité a retiré quelque avantage du combat que vous avez soutenu contre ses ennemis; elle goûtera sans doute un jour le fruit de vos victoires. Vous avez jetté tant de traits de lumière sur ce globe que l’erreur et l’intérest ont obscurçi, qu’à la fin on y verra clair; et que l’on n’y sera plus frapé poignardé volé par ces brigands à longues robes que vous faites frémir de rage et d’épouvante.
J’ai l’honneur d’estre avec Les sentiments de respect, de reconnoissance et d’attachement Les plus inviolables
Monsieur
Vostre très humble et très obéissant serviteur
Delacroix Avt