1777-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Votre estomac et votre cul, mon cher ami et mon cher philosophe, ne peuvent pas être en pire état que ma tête.
Ma petite apoplexie, à l'âge de quatrevint-trois ans, vaut bien vos déjections à l'âge de soixante ans. Mettons l'un et l'autre, dans le même plat, vos entrailles et mes méninges, et présentons les à la philosophie. Je meurs accablé par la nature qui m'attaque par en haut, quand elle vous lutine par le bas. Je meurs persécuté par la fortune qui s'est moquée de moi dans la fondation de ma colonie. Je meurs poursuivi par les mauvais livres qui pleuvent. Je meurs aboyé par les dogues qui déchirent ce Delisle. Je sais qu'étant en curée, ils veulent me dévorer aussi; mais ils feront mauvaise chère. Je suis un vieux cerf plus que dix cors, et je leur donnerai de bons coups d'andouillers avant d'expirer sous leurs dents. La cervelle me tinte si prodigieusement, à l'heure que je vous écris, que l' amanuensis et moi ne nous entendons plus. Mon cœur est encore sain, il sera à vous jusqu'au dernier moment.

Adieu, sage, adieu; mes compliments à Pascal-Condorcet; il jouera un grand rôle. Adieu, cher Bertrand; souvenez vous de Raton.