à Forges ce vendredy [4 August 1724]
La mort malheureuse de monsieur le duc de Melun vient de changer toutes nos résolutions.
Monsieur le duc de Richelieu qui l'aimoit tendrement en a été dans une douleur qui a fait conoître la bonté de son cœur mais qui a dérangé sa santé. Il a été obligé de discontinuer ses eaux, et il va recommencer dans quelques jours sur nouvaux frais. Je resterai avec lui encor une quinzaine ainsi ne comptez plus sur nous pour vendredy prochain. Pour moy je commence à craindre que les eaux ne me fassent du mal après m'avoir fait assez de bien. Si j'ai de la santé je reviendrai à la Riviere guaiment, si je n'en ai point j'irai tristement à Paris, car envérité je suis honteux de ne me présenter devant mes amis qu'avec un estomac foible et un esprit chagrin. Je ne veux vous donner que mes baux jours et ne soufrir qu'incognito.
Si vous ne savez rien du détail de la mort de monsieur de Melun, en voici quelques particularitez. Samedi dernier, il couroit le cerf avec mr le duc, ils en avoient déjà pris un et en couroient un second. Mr le duc, et mr de Melun trouvèrent dans une voie étroitte le cerf qui venoit droit à eux. Mr le Duc eut le temps de se ranger. Mr de Melun crut qu'il auroit le temps de croiser le cerf, et poussa son cheval. Dans le moment le cerf l'ateignit d'un coup d'andouillet si furieux que le cheval, l'homme et le cerf en tombèrent tous trois. Mr de Melun avoit la ratte coupée, le diaphragme percé, et la poitrine refoulée. Mr le duc qui étoit seul auprès de lui banda sa playe avec son mouchoir et y tint la main pendant trois quarts d'heure. Le blessé vécut jusqu'au lundi suivant qu'il expira à six heures et demi du matin entre les bras de monsieur le duc et à la vue de toutte la cour qui étoit consternée et attendrie d'un spectacle si tragique, mais qui l'oubliera bientôt. Dès qu'il fut mort le roi partit pour Versaille, et donna au comte de Melun le régiment du deffunt. Il est plus regretté qu'il n’étoit aimé, c’étoit un homme qui avoit peu d'agrément, mais baucoup de vertu et qu'on étoit forcé d'estimer infiniment.
On nous mande de Paris que madame de Villette a gagné son procez en Angleterre et a déclaré son mariage. Voilà touttes les nouvelles que je sais. La plume me tombe des mains. Je vous prie de dire à Tiriot que dès que j'aurai la tête nette je lui écrirai des volumes.