1770-03-12, de Pierre Michel Hennin à Voltaire [François Marie Arouet].

Il m'a été impossible M. de répondre ce matin à votre dernière Lettre, mais je n'y répondrois jamais si j'attendois pour le faire que je cessasse d'en rire.
Il est très vrai que M. Philibert, comme il se faisoit appeller à Paris et non Cramer, est allé à Versailles pour prouver que le magnifique Conseil à eû raison. Je crois que M. le duc l'écoutera avec bonté et lui dira en d'autres termes, que m'importe? Comme il me semble que ceux qui servent les grands Princes doivent n'avoir d'autre politique que d'être vrais, J'ai dit à M. le Conseiller que je lui donnois carte blanche pour me contredire et que je lui permettois même de commencer sa harangue par dire, le Résident vous a trompé &c. S'il me fait chapitrer je croirai bien à son éloquence car M. de Bournonville me marque que M. le Duc a parlé avec éloge de ma conduite et de mon travail. L'orgueil ronge ce Pays cy. Le Conseil veut soutenir son opération martiale. Il n'avoit qu'à convenir bonnement qu'on lui avoit forcé la main, on l'auroit plaint.

Je me suis mis ces jours cy dans une grosse colère de tous les propos qui couroient sur la France, sur M. le Duc, sur vous, sur moi. J'ai dit, messieurs vous inventez des mensonges, vous les écrirez, on les imprimera, il faudra y répondre. Or de tous ceux que vous impliquez dans vos bavardages je ne connois que le Capucin de Ferney qui aime à faire gémir la presse, dont bien nous prend. Les autres ne sont pas rieurs, et s'il leur falloit imprimer vous n'en seriez pas contents de leur prose. On m'a entendu et on s'est donné le mot pour se taire. C'est tout ce que je demande.

Voilà notre Colonie en bon train. Je vous félicite. Vous voyez qu'il y a encore moyen de faire le bien dans notre drôle de patrie. J'imagine aisément que vous avez payé à M. le Duc le tribut d'éloges qu'il mérite. Puisse t'il être assez heureux pour venir souper à l'hôtel de Ville de Versoix entre vous et un ministre du st Evangile.

Je ne sçais M. quand je pourrai vous voir. Je n'ai pas besoin que Geneve soit comme elle est pour que mes bons jours soient ceux que je passe à Ferney, mais depuis vingt ans je suis accoutumé à voir mes devoirs en contradiction avec mes plaisirs.

H.

On me remet à mon réveil M. votre billet. Je voulois vous donner quelque détail sur l'ambassade de votre libraire et il m'avoit été impossible de le faire hier. Je suis bien fâché que M. l'abbé Terray vous ait pincé. On soutient encore même ici qu'il prend le bon chemin pour rétablir l'ordre.