1773-01-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Fort bien, fort bien, si on a écrit à votre majesté impériale ce qu’on ne devait pas écrire, vous avez répondu ce que vous deviez répondre, ainsi que vous avez fait toujours à mon gré ce que vous deviez faire.

Je n’ai jamais été la dupe de tous ces bruits ridicules, aussi ne vous en ai je jamais parlé. Je savais bien que mon impératrice ne faisait pas une seule démarche qui ne la menât à ce beau temple de mémoire qu’elle fait construire. Vous daignez faire entrer Moustapha dans le temple de la paix, mais celui de la gloire lui sera fermé.

Un Français aimable et bien intentionné a été trompé par les Welches. Pour moi je ne suis qu’un pauvre prophète suisse; j’ai toujours prédit ce qui est arrivé.

La philosophie et les philosophes sont assurément de fort bonnes choses, mais elles n’ont rien à faire à tout ceci.

Je serais très fâché qu’on ne fût pas philosophe vers la Norvège. Cette équipée me paraîtrait fort prématurée; elle pourrait fournir quelques nouveaux lauriers à votre couronne; mais ils sont un peu secs dans cette partie du monde, et je les aimais mieux vers le Danube.

Ma philosophie pacifique prend la liberté de présenter à votre majesté impériale une consultation.

Sous Pierre le grand votre académie demandait des lumières, et on a recours aux siennes sous Catherine la grande.

C’est un ingénieur un peu suisse comme moi, qui cherche à prévenir les ravages que font continuellement les eaux dans les branches de nos Alpes. Il a jugé que vous vous connaissiez encore mieux en glace que nous Il est vrai pourtant qu’avec notre quarante-sixième degré, et la douceur inouïe de notre présent hiver, nous éprouvons des froids aussi cruels que les vôtres. J’ai imaginé de faire passer cette consultation par vos très belles mains, dont on m’a tant parlé, et que mon extrême jeunesse et mon respect me défendent de baiser.

Cet ingénieur nommé Aubri, mourra d’ailleurs de la jaunisse, s’il n’est pas associé à l’académie. J’ai l’honneur d’en être depuis longtemps. De qui emploierai je la protection si ce n’est de notre souveraine?

Mr Poliansky m’apprend qu’il n’est point noyé comme on l’avait dit; qu’au contraire il est dans le port, et que votre majesté l’a fait secrétaire de l’académie. Je présume que vous pourrez avoir la bonté de lui donner la consultation. Nous avons assez près de nous notre dame des neiges que j’aurais pu implorer dans cette affaire qui la regarde; mais je ne prie jamais que notre dame de Petersbourg, dont je baise les pieds en toute humilité avec la plus sincère dévotion.

V.