1772-09-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Le vieux malade de Ferney, Monsieur, n’est pas trop éxact, mais il est bien sensible.
Il est pénétré de vôtre souvenir et de vos bontés.

Nous avons eu Le Kain assez longtems. Il a joué six fois, et s’en est retourné avec de l’argent et des présents. J’aurais bien Voulu que la garnison d’Huningue eût été plus près de Genêve.

Je me crois un peu profête. Je fis il y a plus de trois mois, une tragédie qui ne vaut pas grand chose, mais qui est, à quelques différences près, la révolution de Suede. Nous attendons celle de Pologne. Il n’y a rien de nouveau en Russie, sinon un Rhinocéros pétrifié, qu’on a trouvé dans les sables, au soixante cinquième degré de latitude. Ce Rhinocérot, joint aux os d’Eléphant qu’on rencontre souvent en Sibérie fait présumer que ce monde est bien vieux, et qu’il a éprouvé des révolutions que le véridique Moyse n’a point connues.

Voilà tout ce que je sais dans ma retraitte. Vous êtes occupé actuellement à commander des évolutions à de braves gens qui ne feront je crois la guerre de longtems. Vous faittes très bien d’embellir vôtre maison de campagne auprès de Lausanne. Quand on a bien couru le monde, on conclut qu’on n’est bien que chez soi.

Made Denis vous fait mille compliments. Vous savez, Monsieur, avec quels sentiments je vous suis attaché pour le reste de ma vie.

V.