1742-12-02, de Nicolas Fréret à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ay esté extrêmement sensible Monsieur à l'attention que vous avez bien voulu faire à la requeste que Mr Desmollars vous avait faite de ma part.
Je vous renvoye les deux volumes de Greaves après avoir lu ce que je ne connaissois point de cet autheur, ses lettres & ses observations. J'y ay trouvé peu de chose de nouveau si ce n'est des preuves qu'il avoit l'esprit trez peu philosophe et qu'en matière d'histoire naturelle il n'estoit pas capable de suivre des observations bien recherchées. Celle que Mr Desmollarts m'avoit indiquée & qui semble favoriser l'opinion commune de l'acroissement du sol de l'Egypte par les inondations du Nil, ce qui estait le principal objet de ma curiosité, laisse beaucoup de choses à désirer & au fonds ne prouve rien pour cette opinion. Elle nous aprend seulement qu'à une lieu du Nil dans une plaine que ce fleuve inonde en grande partie en creusant des puits pour l'arrosement des jardins on trouve sept à 8 pds d'une terre noire au dessus du sable blanc, mais Greaves ne dit rien qui nous prouve que cette terre noire soit une terre de crément qui se soit augmentée peu à peu et d'année en année, qui soit feuilletée & dans laquelle on trouve à diverses profondeurs des racines ou des feuilles de plantes. On peut seulement en conclure que cette plaine qui dans son origine estait de pur sable a esté couverte de 7 à 8 pieds de terre, de même qu'une partie de la basse Egypte lors de quelqu'une des révolutions qu'a souffertes notre globe. Car il est sûr qu'il en a essuyé plusieurs et même de trez considérables qui en ont changé non seulement la surface mais peut estre encore la figure & peut estre même la contexture intérieure. Ce que nous habitons n'est proprement que les débris & les décombres de l'ancienne terre. Je parle à un home dont l'esprit estendu embrasse touts les genres, un home qui sait mieux que moy toutes ces choses là.

Je suis Monsieur avec l'estime la plus parfaite vostre trez humble & trez obéïssant serviteur

Fréret