aux Delices 1er novbre [1758]
Il me parait madame qu'on passe sa vie à voir des révolutions.
L'année passée au mois d'octobre le roy de Prusse voulait se tuer. Il nous tua au mois de novembre. Il est détruit cette année en octobre, nous verrons si nous serons battus le mois prochain. On appelle victoires complettes des actions qui sont des avantages très médiocres, on chante des te deum quand à peine il y a de quoy entonner un déprofondis. On nous exagère de petits succez et on nous accable de grands impôts. On dit le monarque portugais blessé à l'épaule, le monarque espagnol blessé au cervau, Le roy ou soy disant tel, de Suede gardé à vue, et celuy de Pologne buvant et mangeant à nos dépends tandis que les prussiens boivent et mangent encor aux dépends des saxons. Des autres rois, je n'en parle pas. Portez vous bien madame et voyez d'un œil toujours tranquile la sanglante tragédie et la ridicule comédie de ce monde.
Je tremble toujours que quelque balle de fusil ne vienne balafrer le beau visage de Mr votre fils à qui je présente mes respects.
Avez vous le bonheur de posséder madame de Broumath?
Voulez vous bien permettre madame que je mette dans ce paquet un petit billet pr Colini qui vous est attaché. Pardonnez cette liberté grande. En voicy encor une autre. Je vous demande en grâce quand vous enverrez à Strasbourg de vouloir bien dire au coureur qu'il aille chemin faisant laver la tête au banquier Turkeim, et luy signifier que je meurs de faim s'il ne songe pas à moy.
Pardon madame, mais dans l'occasion on a recours à ce qu'on aime.
Mille tendres respects.
V.