à St Petersbourg ce 27 mars 1772
Monsieur,
Depuis que je suis auprès de cette digne souveraine que nous avons tant de raisons d'aimer et d'admirer, j'ai eu l'honneur de vous écrire que vous verriez peut-être une discution d'artiste à Littérateur, entre mon ami M. Diderot et moi; mais mon ami n'a pas voulu qu'elle fût imprimée.
Aujourd'hui je fais le contraire de mon mêtier. J'abats une idole adorée depuis des siècles, et je vous envois et l'idole et les outils dont je me sers pour sa déstruction. Il faut convenir que je suis un de ces monstres dont vous êtes le Patriarche, puis que j'ose me servir de la raison que Dieu m'a donné, et dont il veut que je me serve, ou je suis fort trompé. Hélas! s'il m'eût gratifié seulement d'une étincelle de cette fournaise qui enflamme toutes vos productions, et qui les vivifie, la sotise et les vieux préjugés pittoresques n'auroient pas beau jeu.
Quoi qu'il en soit, Monsieur, je vous prie d'agréer un exemplaire de ma traduction de Pline, et des remarques dont j'ai pris la liberté de l'accompagner, attendu que je suis de cette Eglise un peu le sacristain. Si vous trouvez ma besogne absolument mauvaise, faites moi la grâce de me le dire, et je jetterai ma plume au feu; mais je ne vous réponds pas d'en faire autant du cizeau.
Je suis avec respect,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Falconet