1771-12-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Count Andrei Petrovich Shuvalov.

Monsieur le comte,

Je viens d'avoir l'honneur de recevoir la lettre de votre excellence qui renfermait les ordres que sa majesté, votre auguste souveraine, la mienne et celle qui devrait l'être de l'univers entier, daigne me donner.
J'ai fort heureusement pour moi trouvé le jeune littérateur débutant dans les belles lettres qui se chargera d'encadrer dans quelques lignes ses grandes idées que toute l'Europe devrait appuyer. Je n'ai eu pour cela qu'à m'emparer des 1000 ducats et qu'à tremper ma plume dans mon encrier. Je me glorifie d'être scribe sous la dictée de son puissant génie: cela seul pourra peut-être me rapprocher du titre de patriarche du Parnasse, que vous voulez bien me donner; jusqu'à présent je n'en ai que l'âge, ce qui n'est qu'un jeu du hasard qui s'use avec le temps.

J'ai cherché longtemps le titre que je devais donner à cette pièce: appel aux souverains aurait pu lui convenir, si tous ces messieurs par la grâce de dieu et de personne aimaient qu'on les interpellât; … avis aux nations ne sont plus écoutés: l'ignorance et les préjugés l'emportent! … Je me suis donc décidé, d'après les intentions de sa majesté, à plus frapper le vulgaire qu'à le persuader; et c'est sous le titre du tocsin des rois que vous la verrez paraître en janvier prochain, dans le Mercure de France et dans le Mercure historique et politique qui sont les journaux les mieux faits. En attendant en voici le manuscrit.

Le mot d' officielle de votre lettre m'impose un silence respectueux, quoique selon moi tout ce qu'on signe dût toujours l'être; il n'y a que des coquins, des Frérons, ou des jésuites qui pensent différemment. Je suis avec respect de votre excellence etc.

Voltaire