à Ferney 11e xbre 1772
Madame,
Votre oiseau qu'on appelle flamant ressemble assez aux caricatures que mon ami Mr Hubert a faittes de moi, il m'a donné le cou et les jambes, et même un peu de la phisionomie de ce prétendu héron blanc.
Je me doutais bien que jamais Pierre le grand n'avait paié un pareil tribut au seigneur de Stamboul.
On doit assurément un tribut de louanges à Vôtre Majesté Impériale, pour vos beaux établissements de garçons et de filles. Je ne sais pas pourquoi on ose encor parler de Lycurgue et de ses Lacédémoniens, qui n'ont jamais rien fait de grand, qui n'ont laissé aucun monument, qui n'ont point cultivé les arts, et qui sont depuis si longtems esclaves des barbares que vous avez vaincus pendant quatre années de suitte.
La Lettre qui est venue dans le paquet de la part de Mr de Betzky est bien précieuse; je la crois de nôtre Falconet, mais ce que V: M: I: a daigné m'écrire sur vôtre institution du plus que st Cyr est bien audessus de la Lettre imprimée de Falconet qui pourtant est bonne.
Etant né trop tôt, et ne pouvant être témoin de tout ce que fait ma grande Impératrice j'ai saisi l'occasion de lui envoier ce jeune baron de Pellemberg qui est un tiers d'Allemand, un tiers de Flamand, et un tiers d'Espagnol, et qui voulait changer ces trois tiers pour une totalité Russe. Je ne le connais, Madame, que par son entousiasme pour vôtre personne unique. Je ne l'ai vu qu'en passant. Il m'a demandé une Lettre, j'ai pris la liberté de la lui donner, comme j'en donnerai si vous le permettez à quiconque voudra faire le pélerinage de Petersbourg par pure dévotion pour Sainte Catherine seconde.
On me dit une triste nouvelle pour moi, que ce Poliansky que Vôtre M: I: a fait voiager, et dont j'ai tant aimé et estimé le caractère, s'est noyé dans la Néva en revenant de Petersbourg. Si celà est, j'en suis extrêmement affligé. Il y aura toujours des malheurs particuliers, mais vous faittes le bonheur public. Le mien est dans les Lettres dont vous m'honorez. J'attends la Comédie, je la ferai jouer dans ma petite colonie le jour que je ferai un feu de joie pour la paix de Fokiani ou de Bukarest, suposé que vous gardiez par cette paix trois ou quatre provinces, et l'empire de la mer Noire. Mais je proteste toujours contre toute paix qui ne vous donnera pas Stamboul. Ce Stamboul était l'objet de mes voeux, comme sainte Catherine seconde l'objet de mon culte. Puisse ma sainte goûter toutes les sortes de plaisirs, comme elle a toute sorte de gloire!
Le vieux malade de Ferney qui n'a ni gloire ni plaisir V.