1767-10-18, de Étienne Maurice Falconet à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Si on peut écrire contre Locke en l'estimant beaucoup ne seroit-il pas permis à un peintre ou à un sculpteur de dire son avis sur son mêtier, lorsqu'un homme qu'il vénère beaucoup et qui n'est ni peintre ni sculpteur, a jugé à propos d'en dire le sien?
Vous avez un peu parlé de nos arts dans l'histoire générale, et cela étoit à propos. Diderot et moi nous nous sommes mis dans l'esprit de nous tracasser honnêtement sur une folie que nous avons chacun dans la tête: c'est là le rendez-vous. Notre tracasserie nous a mené fort naturellement à parler peinture &a et j'ai cru à propos d'examiner le peu que vous en avez dit. Mais, Monsieur, voici comment je m'y suis pris; j'ai dit, Si la critique doit toujours être honnête, elle doit, très assurément, avoir les plus grands égards pour un homme que, même en le contredisant, on ne peut cesser d'admirer. Mais, il parle de tout, son génie plane sur toutes les connoissances humaines…il fait tous les hommes ses juges autant que ses admirateurs; Et la postérité qui l'aimera le jugera encore.

Je n'ai nulle envie ni aucune raison de vous faire ma cour. Je vous étudie dans le silence; je me mêlle avec ceux qui vous louent. Je ne vous verrai jamais et vous pourrez bien ne jamais rien voir de mes ouvrages. Ainsi, Monsieur, j'ai dit, contre votre avis, ce qui m'a semblé la vérité; parce que la vérité est aussi mon premier devoir. Je l'ai dit à peu près honnêtement; parce que je ne suis pas tout à fait malhonnête.

Peut être la dispute avec mon ami Diderot ira-t-elle jusqu'à vous. Peut être n'en entendrez-vous parler que par une feuille malhonnête. Dans ce dernier cas, je vous demande la permission de la prévenir et de vous envoyer nos deux ou trois cent pages imprimées, si tôt que Prault m'aura donné les premiers exemplaires. Si vous le permettez, Monsieur, je vous prie d'adresser le signe de permission à St P. Bourg, si vous n'aimez mieux le joindre à quelques unes des lettres que vous écrirez à sa Majesté Impériale qui s'est amusé des idées du philosophe, et a bien voulu souffrir le jargon du sculpteur.

Je suis Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Falconet