1771-02-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Je vous suis infiniment obligé, mon cher ami, de votre discours prononcé devant le roi de Dannemark.
Jamais vous n’avez rendu la philosophie plus respectable. Ce discours est un bien beau monument, toutes les académies de l’Europe doivent vous en remercier.

Je n’ose encore vous envoyer ma facétie sur la liberté de la presse, que ce monarque établit si hardiment dans ses états. Figurez vous que je n’ai pas encore eu le temps de la faire copier. Ma colonie, qu’il faut soutenir malgré l’orage qui l’a presque renversée, des occupations forcées, et mes maladies continuelles, ne m’ont pas laissé un moment dont je puisse disposer.

Je m’attendais bien que l’homme dont vous me parlez, se mettrait à la tête de la faction pour le nasillonneur. Il m’avait fait entendre dans une de ses lettres qu’il aimait mieux me servir dans mes amours que dans mes aversions. Il a passé sa vie à me faire des plaisirs et des niches; à me caresser d’une main, et à me dévisager de l’autre; c’est sa façon avec les deux sexes. Il faut prendre les gens comme ils sont. Je lui ai écrit pourtant, et j’avoue ma honte à mr Gaillard. J’espère qu’après tout notre homme trouvera à qui parler. Il ne fera qu’en rire; mais, tout en plaisantant, sa faction aura le dessous, et cela est fort amusant. Si je vis, je dirai deux mots à l’ami le Beau; chaque chose vient en son temps.

Adieu mon très illustre philosophe, adieu l’honneur des lettres. Made Denis est enchantée comme moi de votre discours.

V.