1752-09-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Il faut dépêcher votre courier madame.
Il est près de neuf heures du soir, et il doit repartir au point du jour. Si les monarques avaient le cœur fait comme nous autres, je réponds bien que Le roy de Dannemark serait très touché de votre lettre. Permettez moy de la garder non seulement comme un monument de l'éloquence la plus touchante, mais comme une pièce dont je pourai faire usage au retour de la Silesie. Il faut laisser passer àprésent une espèce de petit nuage que je vous confie. On a été piqué de quelques marques de bonté que m'ont données l'empereur et L'impératrice sans qu'assurément j'aye sollicité le moins du monde ces faveurs dont j'ay même été très étonné. Je vous conjure de garder sur cela le plus profond silence. Mais vous jugez bien que si en effet ces générositez de la cour de Vienne ont pu déplaire, ce temps ne serait pas trop favorable aux insinuations que je pourais faire touchant votre admission à Potsdam. Je sonderay le terrain, je verrai par l'air des soupers ce que je serai en état de hazarder. Je ne vous compromettrai point et vous devez croire que L'envie de vous servir jointe à celle de vous voir, poura me changer en courtisan délié. Vous seule aurez fait cette métamorphose. Que ne pouvez vous me changer en habitant de Knip-hausen?