1762-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges songez donc que je ne peux pas faire copier toutes les semaines un Cassandre.
Ne serait il pas amusant que je vous renvoyasse l'ouvrage cartoné, que vous me le renvoiassiez apostillé, et que touttes les semaines vous vissiez les changements en bien ou en mal? Rien ne serait plus aisé. Si vous pensez avoir la pièce telle qu'elle est, vous êtes loin de votre compte. Dépêchez moy un exemplaire; et sitost qu'il sera arrivé, vite des cartons et mes raisons en marge, et le lendemain le paquet repart, et la poste est toujours chargée de rimes. Cela est juste puisque j'ay fait Cassandre en poste.

Made Fontaine n'aime pas Cassandre, made Denis l'aime beaucoup, melle Corneille n'y comprend pas grand'chose. Ce qui est sûr c'est que cet ouvrage nous amusera.

Made Denis m'a fait entendre qu'elle avait écrit à mes anges des choses que je désavoue formellement. Je ne suis pas si pressé d'imprimer. Il est vray que je ne pourai guères me dispenser de donner Cassandre dans quelques mois parce qu'il y a une personne au bout du monde qui a la rage d'avoir une dédicace, et qu'il est bon d'avoir des amis partout, mais je ne me presserai point.

Crébillon me fait lever les épaules, c'est un vieux fou à qui il faut pardonner.

L'alliance, le pact de famille, le plaisir de me voir tout d'un coup catalan, napolitain, sicilien, parmesan, m'a d'abord transporté; mais si l'Espagne n'attaque pas les Anglais avec cinquante vaisseaux de ligne je regarde le traitté comme des compliments du jour de l'an. Je veux qu'on batte les Anglais et Luc, et qu'on ne sifle ny Zulime ny Cassandre.

Mes anges je baise le bout de vos ailes.

V.