28 mars [1762]
Vous mandez mon cher marquis à ma nièce que ma lettreétait bien extraordinaire, mais comme dans ce temps là il se passait des choses baucoup plus extraordinaires dans votre infâme ville de Paris ma lettre était très sage.
Certain discours prononcé contre les enciclopédistes, certaines cabales, certaines persécutions sont des orages aux quels un homme de mon âge ne doit pas s'exposer. La personne dont vous parlez dans votre lettre à made Denis ne peut pas ou du moins ne doit pas dire qu'elle a vu ce qu'elle n'a jamais vu. Ce serait une très grande infidélité et un crime dans la société d'accuser un homme dont on doit être très content, et de l'accuser après avoir eu sa confiance. Mais ce serait dans ce cas cy un mensonge affreux. Ce que je vous dis est très exact, très vray, et la personne en question n'a rien vu ny rien pu voir.
Au reste les modes changent en France. C'était autrefois la mode de faire des campagnes glorieuses, d'être le modèle des autres nations, d'exceller dans les beaux arts. Aujourdui on ne connaît plus que des querelles pour un hôpital, des cabriolets, des fêtes de catins sur les remparts et des persécutions contre des hommes sages et retirez. Si je ne suis pas sage, je suis du moins très retiré, et je ne veux pas donner lieu à des pédants de troubler ma retraitte. Croyez que je suis très instruit de bien des choses, et que j'ay dû écrire de façon à dérouter les curieux qui se trouvent sur les chemins. Mais croyez surtout que je vous aimerai toujours. Made Denis vous en dira davantage, mais elle ne vous est pas plus attachée que moy.