1770-12-23, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Jamais mensonge ne fut plus complet que celui de cette prétendu lettre de l’Ambassadeur d’Angletterre Murray datée de Constantinople où il est dit qu’il voit deux fois par semaine le Padischa et que celui çi lui parle Italien.
Aucun Ministre étranger ne voit le sultan que quand il a ses Audiences publiques. Moustapha ne sait que le Turk, et il est douteux s’il sait lire et écrire; ce prince est d’un naturel farouche et sanguinaire, mais on prétend qu’il est né avec de l’esprit. Cela ce peut, mais je lui dispute la prudence. Il n’en a point marqués dans cette guerre. Son Frère est moins que lui, s’est un dévot. Il lui a déconseillé la guerre et je ne crois pas qu’on l’envoye comander jamais. Mais ce qui Vous fera rire peut être s’est que ses deux Princes ont une sœur, qui étoit la terreur de tout les Bachas. Elle avoit avant la guerre au delà de soixantes ans, elle avoit étée marié quinze fois et lorsqu’elle manquoit de maris le sultan qui l’aimoit beaucoup lui donnoit le choix de tout les Bachas de son Empire. Or quand un Bachas épouse une Princesse de la maison Impériale, il est obligé de renvoyer tout son harem. Cette sultane outre son âge étoit méchante, jalouse, capriçieuse et intriguante. Son crédit chés Mr son frère étoit sans bornes, et souvent les Bachas qu’elle épousoit, sans tête. Cela n’étoit point du tout plaisant pour eux mais cela n’en est pas moins vrai. Ah! monsieur Vous avés tant dit de belle chose de la Chine, que je n’ose disputer sur le mérite des vers du Roy de ce pays, cependant par les affaires que j’ai avec ce gouvernement je pourrais fournir des notions qui détruiroit beaucoup de l’opinion qu’on a de leur savoir vivre et qui les feroit passer pour des rustres très ignorants. Mais il ne faut point nuire à son prochain, ainsi je me tais, et j’admire les relations des délégués de la Propaganda sans les contredire; au bout du Compte j’ai afaire au gouvernement tartare qui a Conquis la Chine, et non pas aux Chinois originaire. Continués moi Monsieur Votre amitiés et Votre confiance et soyés assuré que persone ne Vous estime plus que moi.

Caterine

P. S. Les gazettes ont débitées come si j’avois fait arretter quantités de persones de qualités. Je dois Vous dire qu’il n’en est rien, et qu’âme qui vive ni grand ni petite n’a été arrêté. Le Prince Henry de Prusse est mon témoin, je m’en raporte à lui.