A Chanteloup, ce 13 juin 1770
Nous sommes inquiets de vous, ma chère petite-fille.
Il y a longtemps que nous n'en avons entendu parler; est ce que vous êtes malade, que vous nous oubliez ou que vous ne nous aimez plus? Si vous nous oubliez, nous vous ferons ressouvenir de nous à force de persécutions; si vous ne nous aimez plus, nous vous forcerons à nous rendre votre tendresse à force de vous accabler de la nôtre; mais, si vous êtes malade, nous nous inquiéterons et nous gémirons jusqu'à ce que la santé vous soit rendue.
Voltaire a les meilleurs procédés pour nous; il nous envoie tous les articles de son Encyclopédieà mesure qu'ils paraissent; c'est à moi qu'il les adresse pour vous, ce qui fait que vous les recevez plus tard, parce que nous leur faisons payer le port en les lisant. L'abbé a dû vous envoyer ce matin ses derniers articles avec sa dernière lettre. Il me semble par cette lettre qu'il n'est pas trop content que j'aie craint que son nom ne nuisît à l'affaire des habitants de Sainte-Claude. Il veut que nous soyons charmés de l'article: Anciens et modernes. J'en suis fort contente, parce que je le trouve fort raisonnable, que je suis absolument de son avis, et que je suis toujours contente de Voltaire quand je le trouve raisonnable; mais, ce qui me charme le plus de son dernier envoi, c'est que l'article âne suive immédiatement l'article ange; cela est assez gai.
Croiriez vous que le grand-papa n'a jamais voulu me répondre s'il avait trouvé à employer ses montres, quoique je le lui demande à tout moment? Vous qui le voyez tant que vous le voulez, ma chère enfant, vous qui lui dites tout ce qui vous plaît, vous qui avez enfin l'oreille du ministre, vous qui savez tout ce qu'il fait, mandez moi ce qu'il a fait des montres de Voltaire.
L'abbé, qui a de l'esprit comme tous les anges du paradis et comme tous les ânes dont Voltaire relève si bien l'éloquence, vous dit les plus belles choses du monde d'ici. Pour moi, qui n'ai pas l'esprit du moindre de ces animaux, je n'ai rien à vous en dire, si ce n'est que je pense à vous, que je parle de vous, et que je vous aime, ma chère enfant, autant que partout, et plus que jamais.