A Chanteloup, ce 16 juillet 1769
Votre lettre, ma chère petite-fille, m'a sauvée de tomber dans le panneau le plus fâcheux.
Voltaire m'en avait écrit une seconde pour me dire de ne pas montrer la tragédie des Guèbres; cette précaution ne m'avait point encore avisée que la pièce pût être de lui, tant elle me semblait mauvaise, et en lui répondant je lui mandais tout ce que j'en pensais; heureusement ma lettre n'était point encore envoyée quand j'ai reçu la vôtre; ce que vous me dites nous a dessillé les yeux; nous avons reparcouru la pièce, l'abbé et moi, et, soit l'effet de la prévention que vous nous aviez donnée, soit celui de ma peur, nous avons cru reconnaître Voltaire, mais nous n'en sommes pas moins restés à dire que la pièce était détestable. Je me suis seulement contentée de ne le pas dire dans la lettre que je lui ai répondue. Ainsi, tenez-vous pour avertie, ma chère petite-fille, de ne point prêter les Guèbresà personne, car je promets à Voltaire qu'elle ne sera pas connue par nous. Voici ma dernière lettre, ma chère enfant, et l'abbé va la finir. Je compte toujours vous donner à souper mercredi et je m'en fais le plus grand plaisir.