5e xbre 1773
Je suis bien affligé, mon cher ange, de la mort de Mr De Chauvelin.
Voilà encor un ancien ami que vous perdez. Je n’espèrais pas le revoir, car vous voiez bien que je dois mourir au pied des Alpes; mais vous savez combien je devais lui être attaché. Qui osera désormais parler à certains soupers comme vous m’aprites qu’il avait parlé? Ce ne sera pas le maître des jeux, dont la conduite ne parait pas compréhensible, et que je comprends pourtant très bien, et trop bien.
Vous avez dû recevoir le petit emplâtre que j’ai mis à la précipitation avec laquelle Sophonisbe convole en secondes noces. Vous me direz peut être que cet emplâtre est un mauvais palliatif, mais je ne sais qu’y faire, il y a des maladies qu’on ne peut guérir. Quant à Teucer, le temps est passé où son avanture pouvait exciter la curiosité des Welches. Cependant si cette pièce était bien jouée, elle pourait faire quelque plaisir, et puisqu’on l’a répétée le carême passé, on pourait bien la jouer le carême qui vient. C’est mon droit, après tout. Les comédiens sont ils assez ingrats et assez puissants pour m’ôter mon droit?
Vous m’avez parlé il y a trois semaines d’une lettre que vous m’aviez écrite, et qu’un homme connu de Made De st Julien devait me rendre; je n’ai vu ni la lettre ni l’homme. Vous m’y nommiez, dites vous, l’auteur de cette maudite édition qui m’a fait tant de tort. Nommez le moi donc, je vous prie, et je vous promets le secret. Je vous promets même de ne me point fâcher, je n’en ai plus la force; si je me fâchais ce serait contre la nature qui vous enlêve vos amis, et qui m’avertit tous les jours de les aller trouver. Je lui pardonne si elle conserve la santé de Madame D’Argental. Pour la vôtre j’en suis sûr heureusement, et c’est mon unique consolation dans mes misères de plus d’une espèce.
V.