26e 7bre 1773
Et moi, mon cher ange, je me hâte de me justifier de l’obscurité que vous me reprochez par votre lettre du 20.
L’obscurité est assurément dans la conduite du maître des jeux. Je lui ai toujours présenté mes humbles requêtes très nettement et très constamment. Je ne lui ai pas écrit une seule lettre où je ne l’aie fait souvenir de la parole d’honneur qu’il avait donnée au bon roi Teucer, au petit sauvage et à son amoureuse. Je me suis même plaint douloureusement de la préférence qu’il donnait à la partie carrée d’Iphianas avec Oreste et d’Electre avec le petit Ithis.
J’ai toujours insisté sur la nécessité absolue de faire un peu valoir un ancien serviteur. Je lui ai représenté que c’était peut-être la seule manière de venir à bout d’une chose dont il m’avait flatté. Il m’a toujours répondu des choses vagues et ambiguës. Il y a deux affaires que je n’ai jamais comprises, c’est cette conduite du maître des jeux et l’édition de Valade.
Il y en a une troisième que je comprends fort bien, c’est le changement d’avis du maître des choses. Je conçois que des hypocrites ont parlé à ce maître des choses, et qu’ils ont altéré ses bonnes dispositions. Les Tartuffes sont toujours très dangereux. A l’égard de Sophonisbe, comment puis je distribuer les rôles moi qui depuis trente ans ne connais d’autre acteur que le Kain? C’est au maître des jeux à en décider.
J’ai écrit ces jours-ci à mad. de st Julien, et je l’ai remerciée de toutes ses bontés, en comptant même qu’elle en aurait encore de nouvelles, mais voici le voyage de Fontainebleau, et je n’ai plus le temps de rien espérer. Celle qui a lu si bien ma petite lettre à mon successeur l’historiographe, aurait pu se mêler un peu des affaires de la Crête et de l’Afrique; mais je n’ai pas osé seulement lui faire parvenir cette proposition; j’ai craint de faire une fausse démarche. On voit rarement les choses telles qu’elles sont avec des lunettes de cent trente lieues.
J’ai donc tout remis en dernier lieu, entre les mains de la providence.
Vous daignez entrer, mon cher ange, dans toutes mes tribulations. Vous me parlez de ma malheureuse affaire des rescriptions. Elle est très désagréable, et elle a beaucoup nui à ma colonie. C’est encore une affaire de la providence qui demande une grande résignation.
Quant à mr de Garville, qui est si lent dans ses voyages, je crois qu’il s’était chargé de deux Minos, l’un pour vous, et l’autre pour mr de Thibouville.
Il ne me reste plus qu’à répondre à vos semonces d’écrire à m. le duc D’Albe. Il me semble qu’il y a trop longtemps que j’ai laissé passer l’occasion de lui écrire. Je dois d’ailleurs ignorer la chose, et ne me point mêler de ce que des gens de lettres ont bien voulu faire pour moi tandis que des gens d’église me persécutent un peu. Et puis, il faut vous dire que je suis découragé, affligé, malade, vieux comme un chemin, que je crains les nouvelles connaissances, les nouveaux engagements et les nouveaux fardeaux.
Pardonnez moi; il y a des temps dans la vie où l’on ne peut rien faire, des temps morts, et je me trouve dans cette situation. Vous me demanderez pourquoi j’écris des fariboles à mon successeur l’historiographe, et que je ne puis écrire des choses raisonnables à mr le duc D’Albe. C’est précisément parce que ce sont des fariboles; on retombe si aisément dans son caractère! Mais je me sens bien plus à mon aise quand je vous écris, parce que c’est mon cœur qui vous parle. Je suis bien consolé par ce que vous me dites de mad. Dargental. Si elle se porte bien elle est heureuse, il ne lui manquait que cela.
Mad. Denis et moi nous lui en marquons toute notre joie. Vous savez à quel point nous vous sommes attachés.
Adieu mon cher ange, je vous aimerai jusqu’à ce que mon corps soit rendu aux quatre éléments, et l’âme à rien du tout, ou peu de chose.
Pour répondre à tout, je vous dirai que le Taureau blanc est entre les mains de mr de Lile, et qu’il faut le faire transcrire.