1772-04-09, de Charles Augustin Feriol, comte d'Argental à Voltaire [François Marie Arouet].

Je ne veux pas différer, mon cher ami, un seul moment de vous dire combien nous sommes contents de la docilité du jeune homme ainsi que des changements qu’il nous a envoyés.
C’est précisément ce que nous voulions et il l’a exprimé en bien beaux vers, mais plus nous sommes satisfaits plus nous serions affligés s’il manquoit son coup par une impression prématurée de sa pièce. C’est alors que l’armée dont vous faites mention, qui croit reconnoitre la plume de Duroncel, se déchaineroit contre l’ouvrage qui, quoique très beau, n’auroit pas pour sa défense l’illusion du théâtre, les sçituations qui doivent former un spectacle admirable, et le jeu des acteurs qui y mettront le zèle de l’admiration et la vivacité de la reconnoissance pour celui qu’ils ont cru deviner. Enfin il il n’y a de succès véritable, de réussite prouvée qu’au théâtre. Réflexion faite il ne faut pas prononcer le mot des Guebres. Il réveilleroit l’idée des difficultés que la police a trouvé à en permettre la représentation. Mais quand on demandera, de votre part, que la tragédie du jeune avocat soit jouée, on souscrira à votre demande et elle passera pardessus toutes les autres, excepté cependant Pierre le cruel qui ne peut être retardé par les raisons que nous vous avons exposé.

Nous ne manquerons pas de nommer, puis que Du Roncel le veut, les grands officiers de la cour de Teucer. Ce nom est en effet peu connu, mais on pourroit y substituer celui d’Astrée sur la quelle rousle le principal intérêt. On n’en a pas fait autrement pour Zaïre, Alzire, Merope. Nous désirerions toujours que le nom de fille ne fût pas prononcée et qu’on y substituât des expressions d’enfants de familles plus propres à marquer la reconnoissance. Ce qui nous fait insister à cet égard est qu’à la lecture au premier moment où le mot de fille a été prononcé, nous avons connu, sans faire usage d’une grande pénétration, qu’Asterie étoit fille de Teucer. Ce mistère trop tôt éclairci nuiroit certainement à l’effet de la reconnoissance. Mr le duc d’Albe est parti mais il a sçu avant son départ tout ce que vous souhaitiés qu’on lui dit et il a reçeu ces protestations avec bien du plaisir. Nous en avons toujours un nouveau, mon cher ami, en vous assurant des sentimens les plus tendres et les plus vrays.