1770-02-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à chevalier de Montfort.

Monsieur,

Celui à qui vous avez écrit se sent très indigne des éloges que vous voulez bien lui donner; mais il est touché de vôtre mérite et du soin que vous avez pris de vous instruire.

La dissertation de Calmet dont vous parlez est une de ses plus faibles. Il vous suffira d'un coup d'oeil pour juger des paroles de ce pauvre homme.

‘Je pourais avancer que le voiage de st Pierre à Rome, est prouvé par st Pierre même, qui marque expressément qu'il a écrit sa Lettre de Babilone, c'est à dire, de Rome, comme nous l'expliquons avec les anciens. Cette preuve seule suffirait pour trancher la difficulté.’

Vous voiez, Monsieur, combien il serait ridicule de dire qu'une Lettre datée de Paris vient de Toulouse.

Le premier qui écrivit ce prétendu voiage et les avantures de Simon Barjone avec Simon qu'on disait magicien, est un nommé Abdias, fort au dessous des historiens de Robert le diable et des quatre fils Aymons. Marcel, autre auteur digne de la bibliothèque bleue, suivit Abdias; Hegesype enchérit encor sur eux. C'est ce même Hegesype qui écrivit que Domitien, aiant su que les petits fils de Jude étaient à Rome, qu'ils étaient parents de Jesu, et descendants de David en droite ligne, les fit venir devant lui dans la crainte qu'ils ne s'emparassent du roiaume de Jérusalem auquel ils avaient un droit incontestable etca, etca.

Soiez très sûr que l'histoire ecclésiastique n'a pas été écrite autrement jusqu'au seiziéme siècle. Mais puisque tout celà vaut cent mille écus de rente à certains abbés, des souverainetés à d'autres hommes, il ne faut pas se plaindre.

L'artillerie dans laquelle vous êtes officier ne peut rien contre les remparts que l'erreur s'est bâtis, mais le bon esprit sert à ne se laisser pas subjuguer par ces erreurs.

Celui qui a l'honneur de vous répondre vous prie de ne le point nommer. Il vous assure de sa respectueuse estime.