8e juin [1770]
Voilà votre majesté bien payée de s'être vouée à st Ignace. Passe pour moy chétif qui n'apartiens qu'à st François. Le malheur sire c'est qu'il ’y a rien à gagner à punir frère Ganganelli. Plût à dieu qu'il eût quelque bon domaine dans votre voisinage et que vous ne fussiez pas si loin de notre dame de Lorrette.
Que ne vous chargez vous du vicaire de Simon Barjone tandis que l'impératrice de Russie époussete le vicaire de Mahomet? Vous auriez à vous deux purgé la terre de deux étranges sottises. J'avais autrefois conçu ces grandes espérances de vous, mais vous vous êtes contenté de vous moquer de Rome et de moy, d'aller droit au solide et d'être un héros très avisé.
J'avais dans ma petite bibliotèque l'essay sur les préjugez mais je ne l'avais lu. J'avais essaié d'en parcourir quelques pages et n'ayant vu qu'un verbiage sans esprit j'avais jetté là le livre. Vous luy faites trop d'honneur de le critiquer, mais béni soyez vous d'avoir marché sur des cailloux, et d'avoir taillé des Diamants! Les mauvais livres ont quelquefois cela de bon, c'est qu'ils en produisent d'utiles.
Tâchez je vous prie sire d'avoir pitié de mes vieux préjugez en faveur des Grecs contre les Turcs. J'aime mieux la famille de Socrate que les descendants d'Orcan, malgré mon profond respect pour les souverains.
Sire vous savez bien que si vous n'étiez pas Roy j'aurais voulu vivre et mourir auprès de vous.
le vieux malade hermite
Je vois que vous ne voulez point des trois grâces de M. Hennin. Celles qui vous inspirent quand vous écrivez sont baucoup plus grâces.