3^e février 1770, à Ferney

Monsieur De Voltaire a l'honneur d'envoier à Monsieur De La Leu, un certificat de vie qui sera un des derniers.
Il sera pénétré jusqu'à son dernier moment des bontés que Monsieur De La Leu a eues pour lui, et il lui réitère les remerciements les plus sensibles. Mad^e Denis se joint à lui pour lui exprimer les mêmes sentiments.

Monsieur De La Leu est suplié de trouver bon

1. Que les Cent Louis qu'il a prêtés à Mad^e Denis soient sur le compte de son oncle. Comme aussi les cinquante Louis que Monsieur De La Leu veut bien avancer ce mois cy pour mad^e Denis.

2. M^r De Voltaire aiant donné à sa famille ce qui lui est dû par M^r le M^al De Richelieu et par la succession de Guise, il lui reste à peine de quoi fournir à la dépense de sa maison, jusqu'à ce qu'il soit pleinement arrangé avec M^r Le Duc de Virtemberg. Mais ses rentes de Paris étant suffisantes pour remplir cet objet, il compte que n'aiant aucune dette il poura subsister honorablement grâces aux bontés officieuses que Monsieur De La Leu veut bien avoir.

3. La seul dette qu'il ait à Paris est une somme de 338 £. Il est obligé d'envoier à Paris une Lettre de change de pareille somme, que lui présentera le s^r Faÿ; il espère que Monsieur de Laleu aura la bonté de la faire paier.

4. L'honoraire qu'on doit à Monsieur Delaleu ne poura jamais péricliter, puisqu'il y aura toujours, en quelque tems qu'il meure six mois à recevoir, et que ses rentes de Paris se montent à plus de cinquante mille Livres, et qu'il n'a pas un sou de dettes.

5. Il est difficile, avec la dépense qu'il est obligé de faire à Ferney, qu'il puisse actuellement donner à Mad^e Denis sa nièce autant qu'il le voudrait. Elle a laissé à Paris quelques dettes. Il revenait à M^r De Voltaire vingt sept mille Livres par le compte que Monsieur De La Leu eut la bonté d'envoier. On ne croit pas que sur ces vingt sept mille Livres M^r De Voltaire et mad^e Denis en aient pris plus de quinze. Ainsi, on suplierait Monsieur De Laleu de permettre qu'on tirât sur lui quelque chose au mois de mars pour mad^e Denis, en cas que celà ne le gênât point.

6. M^r De Voltaire a pris pour ce mois de février Cent soixante et quinze Louïs d'or sur les correspondants de M^r De La Borde.

Voicy Monsieur un état de ma situation. Je me mets entièrement entre vos mains. Vous savez qu'il n'y a rien à risquer avec moy et combien je vous suis attaché. Vous ne doutez pas de la reconnaissance avec la quelle j'ay l'honneur d'être pour le peu de temps qui me reste à vivre

Monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire