1768-04-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Guillaume Claude de Laleu.

Je vous envoie, Monsieur, le certificat du peu de vie qui me reste; et ce n'est pas sans être extrêmement sensible à toutes les bontés que vous avez eues pour moi.
J'ai envoié à ma famille un mémoire pour lequel je réclame ces mêmes bontés, et que je soumets à vôtre décision. Il s'agit de donner tant que je vivrai vingt mille francs par an à made Denis, trois mille six cent Livres à Messieurs L'abbé Mignot et d'Hornoy, c: à d: dix huit cent livres à chacun, ce qui est bien peu de chose et dont je suis très honteux; environ, je crois deux mille sept cent Livres à Made Deflorian; environ treize cent Livres à Mlle Corneille qui est aujourd'hui made Dupuits, sans compter les 400lt qui doivent apartenir au sr Wagniere. Il me restera très peu de chose, attendu que Mr Le Duc de Virtemberg sur lequel j'ai des rentes considérables, ne me paie que dans deux ans les arrérages échus, et ne commence à me paier le courant qu'au mois de septembre prochain; et made Denis m'a laissé quinze mille livres de dettes criardes à acquiter.

Voilà ma situation. Mes parents partageront la reconnaissance que je vous dois, et arrangeront tout convenablement. Je compte faire aller ma maison jusqu'au mois de septembre avec les trois mille Livres que Mr De Laborde, banquier du Roi, veut bien me faire toucher tous les mois. Ces trois mille livres serviront tant à l'acquitement des dettes qu'aux dépenses journalières. La générosité de mr De La Borde consiste à me faire toucher ces 3000lt sans aucun frais ni de change ni de commission, quoi qu'ils soient éxhorbitans à Genêve; ainsi vous êtes tout deux les deux hommes de Paris à qui j'ai le plus d'obligation.

D'ailleurs, toutes mes affaires sont dans une règle parfaitte, et de la plus grande netteté. On me doit beaucoup, et je ne dois rien à personne. Il est vrai que j'ai dépensé prodigieusement en bâtiments; mais enfin il fallait bien loger commodément Made Denis et moi dans la terre de Ferney. Ce n'est pas un grand présent que je lui ai fait; elle est d'un revenu peu considérable; j'aurais voulu faire mieux pour elle.

J'aime à vous rendre compte de ma conduite, et j'espère ne manquer à aucun de mes devoirs. J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de reconnaissance, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire