1768-06-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Le vieux malade, le triste oncle, aiant écrit de sa languissante main une grande Lettre à la nièce, dit à son cher gros petit neveu ce qui va suivre.

Premièrement, je lui renouvelle mes remerciements de ses visites à cet abbé Blet qui n'ont pas été infructueuses puisqu'elles ont produit une bonne somme de la part de Mr le Mal De Richelieu. Les paiements de Mr De Lezeau sont sûrs, et j'ai tout lieu de croire que l'affaire de la succession de made la princesse de Guise sera bientôt terminée.

Je ne sais pas s'il faut un arrêté de compte pour le moment présent avec mr Delaleu. Je crains toujours de ne lui pas marquer assez de confiance. J'ignore s'il faut absolument que j'envoie une procuration par devant notaire. Peut être qu'une simple Lettre signée de moi serait suffisante, et plus convenable dans une affaire qui se traitte à l'amiable, et dans laquelle je ne dois montrer à Mr De Laleu qu'une extrème reconnaissance pour tous ses soins. En tout cas, rien ne presse, et je ferai tout ce que mon magistrat me conseillera.

Il avait très deviné que le Président De Brosses était un homme assez lâche pour ajouter à tous ses infâmes procédés un insigne mensonge. Il m'avait écrit deux lettres dans lesquelles il prétendait avoir envoié à made Denis par Mr Fargès, Intendant de Bordeaux, une explication de son contract frauduleux. J'ai écrit à mr Fargès qui est son parent, il m'a mandé que celà est faux, et qu'il n'a jamais entendu parler de cette prétendue explication. Je me suis fait donner une explication plus formelle par plusieurs avocats de Paris et de province qui ont été consultés sous des noms empruntés. Ils ont tous répondu que l'homme à qui j'ai à faire est coupable du dol le plus avéré, et qu'il faut prendre des Lettres de récision; mais je me garderai bien d'en venir à cette extrémité dans les circonstances présentes. Ce misérable a cru m'arrêter en me fesant entendre qu'il pourait me faire dénoncer au parlement de Dijon comme auteur de quelques petites brochures que la calomnie m'impute. Voilà une singulière manière de jouïr en paix de ses fraudes, elle est digne de lui, mais il n'y réussirait pas, sa honte serait publique dans l'Europe, et il serait bientôt forcé de se défaire de sa charge. Je tâcherai de ne point mettre d'humeur dans cette affaire, mais je crois nécessaire d'en prévenir ma famille, qui d'ailleurs n'a rien à craindre de la rapacité de ce coquin tant que je n'habiterai pas le château de Tournay.

J'embrasse mon cher petit neveu, et mon neveu le Turc; est-il toujours enfoncé dans les archives des affaires étrangères? ou est-il occupé à soutenir le grand conseil contre les parlements?

Voicy une petite Lettre pour mr De Laleu que je prie Monsieur d'Hornoy de vouloir bien lui envoier.