7e xbre 1767 : à Ferney
Mon cher magistrat, vous ne ressemblez pas à ce conseiller de grand-chambre, qui étant prié d'arranger les affaires de sa famille, répondit qu'il n'entendait pas les affaires.
Vous me paraissez les entendre fort bien; vous n'avez point de négligence quoi que vôtre rotondité vous mette en droit d'être paresseux.
Vous verrez par l'acte autentique que je vous envoie qu'il est nécessaire que vous me donniez un petit mot de ratification conjointement avec vôtre mère et le gros abbé.
De plus, il est nécessaire que vous préveniez les chicanes de nos seigneurs les fermiers généraux du domaine. Ils pouraient très bien vous faire paier les droits d'insinuation que vous ne devez pas; ou éssaier de vous dépouiller de vos rentes sous prétexte que l'acte n'a été ni controllé, ni insinué. Il n'a point été controllé parce qu'il a été passé en Alzace où le controlle n'a point lieu. Il n'a point été insinué parce qu'on n'insinue que les donnations et les substitutions; et que cet acte ne porte aucun de ces caractères.
Vôtre mère s'arrangea avec moi il y a quelques années; et c'est en vertu de cet arrangement que vous avez tous trois de ce chef chacun deux mille livres de rente immédiatement après ma mort indépendamment de ce qui vous revient d'ailleurs. Il faut donc qu'en ratifiant cet acte vous aiez la bonté de spécifier que l'argent a été fourni en partie par vous trois, selon les conventions faittes entre nous. En éffet, ma nièce vôtre mère m'a fourni de l'argent comptant dans un de ses voiages; et c'est cet argent qui à servi de baze à ce contract. Il est inutile de spécifier la somme.
Vous pouvez dire en deux mots, vous, made De Florian et l'abbé Mignot, que vous ratifiez l'acte pour la passation duquel vous avez tous trois fourni les deniers dont la rente vous est assurée.
Je suppose que vous êtes majeur, et quand vous ne le seriez pas, je crois que vôtre signature autorisée par made Deflorian et L'abbé Mignot est très valable dans le cas dont il s'agit.
Made De Florian étant à la campagne, vous pourez aisément lui envoier un modèle de procuration; moiennant quoi, l'abbé Mignot ou vous vous signerez pour elle.
Cette petite formalité étant expédiée, voicy une autre affaire que je confie à vôtre prudence et à vôtre amitié, bien sûr que vous ne me refuserez pas vos bons offices. Il y a dans le monde un abbé De Blet, prieur de je ne sais où, gentilhomme poitevin attaché depuis longtemps au maréchal de Richelieu. Il s'est chargé de débrouiller les affaires de la maison par pur attachement. C'est un homme sage, honnête et éxact. Mr le Mal me doit une somme assez considérable. Elle sera selon mr De Laleu d'environ quarante deux mille Livres au mois de janvier, et selon mr L'abbé De Blet elle ne sera que d'environ vingt sept. La raison de cette différence est probablement que le commissionaire chargé du recouvrement par Mr De La Leu, n'a point compté avec lui de toute sa recette.
Je vous suplierais donc premièrement d'éclaircir cette difficulté, et de savoir ensuitte de Mr De Blet comment, et dans quel temps il poura me satisfaire, en m'envoiant des Lettres de change sur Lyon.
Ce même Mr De Blet s'est chargé aussi des arrangements concernants la succession du prince et de la princesse De Guise, dont mr Le Duc De Fronsac est petit fils et héritier par sa mère.
J'avais contribué beaucoup au mariage de Mr Le Duc De Richelieu avec madlle Deguise en prêtant au prince de Guise le sourdaut, vingt cinq milles Livres dont il me fit une rente viagère, de deux mille cinq cent livres, croiant que je mourrais dans l'année. Ce fut au contraire le sourdaut qui mourut. L'auguste princesse sa femme, sur les biens de laquelle ma rente fut hipotéquée mourut aussi. Sa fille, la Duchesse De Richelieu, en fit autant, et me voicy en vie encor pour quelques mois.
La succession se partage entre Mr Le Duc De Fronsac et mr Le prince de Beauveau, mr De Fronsac parce qu'il est petit fils, Mr De Beauveau parce qu'il a épousé une petite fille.
Tout cecy posé, il faut savoir que cette succession me doit environ dix huit mille Livres, et au mois de janvier plus de vingt mille livres. J'entends toujours toutes impositions déduites. L'abbé De Blet ne refusera pas d'entrer en conférence avec vous. Vous verrez ce que je peux et ce que je dois faire, et vous me fournirez, s'il en est besoin, un avocat et un procureur, qui ne demeurent pas, s'il est possible, fort loin de l'hôtel de Richelieu où demeure L'abbé De Blet, et qui ne dédaignent pas de me rendre compte du succez de cette entremise, soit entremise de simple considération, soit entremise juridique.
Il faut vous dire que dans cette affaire le Duc De Fronsac agit en son propre nom, et le prince de Beauveau au nom de ses enfans mineurs. Ainsi je soupçonne qu'il y a du juridique dans l'arrangement de cette succession.
Voicy de plus ce qui est arrivé, et ce qui pourait me nuire. Mon hipotèque pour les 2500lt de rente était spécialement établie sur la terre de Monjeu. Cette terre a été vendue, et je ne sais ce qui est advenu de mon hipotèque.
J'ai eu la même avanture avec Mr le Mal De Richelieu; il a tant retourné, tant saboulé son bien, que mon hipotèque avec lui est à tous les diables. Ainsi en usent tous nos grands seigneurs. Leurs affaires sont aussi embrouillées que celles du Roi.
Comme je ne suis pas grand seigneur, les miennes sont fort nettes; mais aussi personne ne me paie, et tout le monde se moque de moy.
Il n'en sera pas ainsi de vous, et les bagatelles déléguées irrévocablement sur des fermiers de franche Comté, ne souffriront jamais de retardement. Je m'arrange actuellement en franche Comté; je compte sur vôtre amitié pour être arrangé à Paris. Je vous demande pardon d'une si longue Lettre et de tant de fatras, mais les fatras d'affaires sont l'élément d'un conseiller de la cour.
Sur ce, mon cher neveu, je vous embrasse le plus tendrement du monde.
V.