1769-04-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Un jeune homme des premières familles de Genève, qui à la vérité, a près de six pieds de haut, mais qui n'est âgé que de seize ans, assistant chez moi à la lecture de l'instruction que votre majesté impériale a donnée pour la rédaction de ses lois, s'écria: mon dieu que je voudrais être Russe! Je lui dis en présence de sa mère, il ne tient qu'à vous de l'être; Pictet qui est plus grand que vous l'est bien.
Vous êtes plus sage et plus aimable que lui. Made votre mère veut vous envoyer dans une université d'Allemagne apprendre l'allemand et le droit public; au lieu d'aller en Allemagne allez à Riga, vous apprendrez à la fois l'allemand et le russe, et à l'égard du droit public il n'y en a certainement point de plus beau que celui de l'impératrice.

Je proposai la chose à sa mère, et je n'eus pas de peine à l'y faire consentir. Ce jeune homme s'appelle Galatin; il est de la plus aimable et de la plus belle figure. Sa mémoire est prodigieuse; son esprit est digne de sa mémoire; et il a toute la modestie convenable à ses talents. Si votre majesté daigne le protéger il partira incessamment pour Riga, après avoir commencé à suivre votre exemple en se faisant inoculer. Je suis fâché de n'offrir à votre majesté qu'un sujet; mais je réponds bien que celui là en vaudra plusieurs autres.

Oserai je prendre la liberté de demander à votre majesté à qui il faudra que je l'adresse à Riga? Sa mère ne peut payer pour lui qu'une pension modique. J'ose me flatter qu'il n'aura pas été un an à Riga sans être en état de venir saluer votre majesté en russe et en allemand. Qu'est devenu le temps où je n'avais que 60 ans! Je l'aurais accompagné.

Si votre majesté va s'établir à Constantinople, comme je l'espère, il apprendra bien vite le grec. Car il faut absolument chasser d'Europe la langue turque, ainsi que tous ceux qui la parlent.

Enfin, madame, au nom de toutes vos bontés pour moi, j'ose vous implorer pour le jeune Galatin, et je puis répondre qu'il méritera toute votre protection. J'attends les ordres de votre majesté impériale.

J'apprends que les braves troupes russes ont déjà battu les Tartares. Cette nouvelle diminue une maladie cruelle dont je suis actuellement accablé. Puisse la gloire de vos armées égaler celle de votre génie!

Je suis avec le plus profond respect et la plus sensible reconnaissance

madame

de votre majesté impériale

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire