27e janvier 1769 , à Ferney, à Genève
Vous m'avez la mine, mon ancien ami, d'avoir bientôt vos soixante et dix ans, et j'en ai soixante et quinze.
Ainsi, vous m'excuserez de n'avoir pas répondu sur le champ à vôtre Lettre.
Je vous assure que j'ai été bien consolé de recevoir de vos nouvelles après deux ans d'un profond silence. Je vois que vous ne pouvez écrire qu'aux rois quand vous vous portez bien. J'ai perdu mon cher D'Amilaville dont l'amitié ferme et courageuse avait été longtems ma consolation. Il ne sacrifia jamais son ami à la malice de ceux qui cherchent à en imposer dans le monde. Il fut intrépide même avec les gens dont dépendait sa fortune. Je ne puis trop le regreter, et ma seule espérance dans mes derniers jours est de le retrouver en vous.
Je compte bien vous donner des preuves solides de mes sentiments dès que j'aurai arrangé mes affaires. Je n'ai pas voulu immoler made Denis au goût que j'ai pris pour la plus profonde retraitte. Elle serait morte d'ennui dans ma solitude. J'ai mieux aimé l'avoir à Paris pour ma correspondante, que de la tenir renfermée entre les Alpes et le mont Jura. Il m'a fallu lui faire à Paris un établissement considérable. Je me suis dépouillé d'une partie de mes rentes en faveur de mes neveux et de mes nièces. Je compte pour rien ce qu'on donne par son testament, c'est seulement laisser ce qui ne nous apartient plus. Dès que j'aurai arrangé mes affaires vous pouvez compter sur moi. J'ai actuellement un cahos à débrouiller, et dès qu'il y aura un peu de lumière les raions seront pour vous.
Je vous souhaitte une santé meilleure que la mienne, et des amis qui vous soient attachés comme moi jusqu'au dernier moment de leur vie.
V.