à Ferney 6e 9bre 1777
Deux cent lieues de distance, Madame, et mon âge de quatre vingt quatre ans, n'ont point affaibli les sentiments qui m'attachent à vous.
Que puis je mander du pied du mont Jura et des grandes Alpes aux bords de L'Elbe? Il ne nous reste qu'un inutile souvenir de nous être connus par hazard, et de nous être séparés de même. C'est l'histoire de toutes les sociétés et de tout ce qui se passe dans le monde.
Comme vous êtes beaucoup plus jeune que moi, et beaucoup plus heureusement née, Vous résisterez encor longtemps au dégoût et à l'ennui de la vie.
Madame Denis vous est toujours très attachée malgré l'éloignement. Elle a été três longtemps attaquée d'une maladie qu'on croiait mortelle. Toutes le sont à la longue. Mes souffrances continuelles ne seront terminées qu'à la mort; il ne faut regarder ce moment que comme la fin de nos misères. On souhaitterait cette fin avec ardeur si on n'était pas retenu par cet instinct puissant qui nous attache prèsque tous à la vie malgré nous.
Suivez vôtre instinct, Madame; vivez le plus longtemps que vous pourez. Si j'avais eu de la santé j'aurais fait le voiage de Hambourg et de Petersbourg, mais je suis obligé de languir dans ma retraitte; j'y suis consolé par le souvenir dont vous m'honorez, et j'y conserve l'attachement respectueux que j'aurai pour vous jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.