1776-11-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Élisabeth de La Vergne, comte de Tressan.

Je n'ai fait qu'entrevoir m. de Toulongeon.
Il m'a donné, monsieur, la plus grande envie de jouir de sa charmante société, mais mon âge et mes maux ne me l'ont pas permis. Je ne suis plus de ce monde. Je m'intéresserai tendrement à vous jusqu'à mon dernier moment, mais à quoi cela sert il? Je suis presantem nequicquam umbras et multa volentem dicere; et je suis réduit à ne rien dire.

M. de Toulongeon m'a paru infiniment aimable et bien digne de votre amitié. Il a les grâces, la politesse, les talents que je vous ai connus. Avec tout cela on n'est pas toujours heureux. Il y a comme vous savez une distance immense entre être heureux et être aimable. Je suis consolé en apprenant que vous passez votre vie avec m. de st Lambert, mais j'ai peur que l'hiver ne vous sépare. Il n'y a que nous autres ours des Alpes et du mont Jura, qui passions notre vie à la campagne. Les beaux oiseaux de vos cantons doivent se retirer à la ville quand les feuilles sont tombées.

Mihi jam non regia Roma,
sed vacuum Tibur placet aut imbelle Tarentum.

Je suis très touché, monsieur, de votre souvenir. Vos bontés pour moi rappellent mon ancienne sensibilité. Elle ne finira qu'avec mes jours. Posthume, Posthume, labuntur anni. J'aime à citer Horace à un homme de sa famille.

Mille tendres respects.

V.