6e fév: 1769
Ma chère amie, vous voilà donc entièrement rétablie.
De quoi vous avisiez vous d'être malingre dans le séjour de l'opéra et de la comédie, des soupers guais et des nouvelles du jour?
Je suis bien content de l'ami Marin; Dieu nous le devait. Ces deux frères ou les Guêbres de feu La Touche seront un jour appellés La Tolérance, et comptez que ce sera une époque singulière. On a déclaré aux cantons suisses éffarouchés du port de Versoy qu'on ne voulait point y faire de fortifications, mais une ville libre qui serait un essais de tolérance. Cette bienheureuse tolérance s'établira donc infailliblement avec le tems.
Je crois vous avoir déjà mandé que la raison fesait d'immenses progrès dans tous les parlements de province, et que toute la jeunesse de Toulouse était convertie; j'en ai reçu des compliments, et j'envoie les Sirven incessamment à Toulouse demander hautement leur justification sur la cendre de Calas. Je ne l'enverrais peut être pas devant les assassins du chevalier de La Barre.
Jugez si je m'intéresse à une Tragédie dont le vrai tître est cette tolérance même à laquelle j'ai tant sacrifié. C'est dommage que le cœur du Sire de Coucy doive passer devant dans un plat, car en vérité les Guêbres intéressent un peu plus le genre humain.
Je suis bien curieux de savoir des nouvelles de la fête de la présentation. Mr Le prince De Soubize et mr Le Duc De Noailles m'ont fait de grands remerciements du siècle de Louïs 14 et m'ont écrit les lettres les plus agréables et les plus encourageantes.
Le marquis de Belesta s'est enfin déclaré l'auteur du petit livre qu'on m'imputait, et dans lequel président Hénaut était si maltraitté.
Vous avez dû recevoir un projet de mémoire pour être envoié à Mr Gayot. En vérité le pauvre village de Ferney serait abimé si on nous envoiait encor des soldats.
Je crois que mad. Dupuits s'amusera très bien de l'éducation de sa fille, et du gouvernement de sa maison. Elle n'a guères connu les enchantements de Paris qui ne rendent point heureux et qui empêchent qu'on ne le soit ailleurs. La vie de la campagne est horrible pour quiconque n'a pas le goût de la solitude et de l'agriculture. On cherche à tromper son ennui par des fausses imitations des plaisirs de Paris qu'on ne peut se procurer qu'avec des frais immenses. On reçoit des étrangers qui vous oublient pour jamais. Cette vie me paraît intolérable. Il faut avoir la passion de l'étude et celle de la campagne pour vivre entre les Alpes et le mont Jura.
Adieu, ma très chère amie, soiez heureuse à Paris.
V.
On m'aporte tous les jours d'anciens mémoires où je n'entends rien. Je vous prie de me renvoier le présent certificat transcrit et signé par Mathon.
Voulez vous bien envoyer à votre neveu d'Hornoi la lettre qui est pr lui?