à Colmar 26 mars [1754]
On me dit madame que vous allez à Andelau et que ma lettre ne vous trouverait pas à Strasbourg.
Je l'addresse à mr le baron Darstad. J'ay bien bonne opinion de son procez. Dupont m'a lu son plaidoyer, il m'a paru contenir des raisons convaincantes, il tourne l'affaire de tous les sens, et il n'y a pas un côté qui ne soit entièrement favorable. J'aurais bien mauvaise opinion de mon jugement ou de celuy du conseil d'Alzace, si mr votre neveu ne gagnait pas sa cause tout d'une voix. Je me flatte madame de vous retrouver à l'île Jard quand je retournerai à Strasbourg. Il y a six mois que je ne suis sorti de ma chambre. Il est bon de s'accoutumer à se passer des hommes. Vous savez que j'en ay éprouvé les méchancetez jusques dans ma solitude. Ce père missionaire est venu s'excuser chez moy, et j'ay reçu ses excuses parce qu'il y a des feux qu'il ne faut pas attiser. Le père de Menou a désavoué la lettre qui court sous son nom et je me contente de son désaveu. Il faut sacrifier au repos, dont on a grand besoin sur la fin de sa vie. Comme je m'occupe à l'histoire, je voudrais bien savoir s'il est vray qu'il y ait eu autrefois un parlement à Paris. Le chef du parlement de cette province m'honore toujours d'une bonté que je vous dois. Il vient me voir quelquefois. Je me sens destiné à être attaché à tout ce qui vous apartient. Je présente mes respects aux deux hermites de l'ile Jard, je me recommande à leurs saintes prières.
l'hermite de Colmar