dans les Vosges, 14 8bre [1753]
J'ai été madame dans les Vosges chercher la santé qui n'est pas là plus qu'ailleurs.
J'aimerais bien mieux être encore dans votre voisinage. Cette petite maisonnette dont vous me parlez m'accommoderait bien. Je serais à portée de faire ma cour à vous et à votre amie malgré tous les brouillards du Rhin. Je ne puis encore prendre de parti que je n'aie fini l'affaire qui m'a amené à Colmar. Je reste tranquillement dans une solitude entre deux montagnes en attendant que les papiers arrivent. Toutes les affaires sont longues, vous en faites l'épreuve dans celle de m. votre neveu. Tout mal arrive avec des ailes et s'en retourne en boitant. Prendre patience est assez insipide, vivre avec ses amis et laisser aller le monde comme il va, serait chose fort douce. Mais chacun est entraîné comme de la paille dans un tourbillon de vent. Je voudrais être à l'île Jard et je suis entre deux montagnes. Le parlement voudrait être à Paris et il est dispersé comme des perdreaux. La commission du conseil voudrait juger comme Perrin-Dandin, et ne trouve pas seulement un petit Jean qui braille devant elle. Tout est plein à la cour de petites factions qui ne savent ce qu'elles veulent. Les gens qui ne sont pas payés au trésor royal savent bien ce qu'ils veulent, mais ils trouvent les coffres fermés. Ce sont là de très petits malheurs; j'en ai vu de toutes les espèces et j'ai toujours conclu que la perte de la santé était le pire. Les gens qui essuient des contradictions dans ce monde auraient mauvaise grâce de se plaindre devant votre neveu paralytique, et ce neveu là n'est il pas dix mille fois plus malheureux que l'autre? Vous lui avez envoyé un médecin. Si par hasard ce médecin le guérit, il aura plus de réputation qu'Esculape. Portez vous bien, madame, supportez la vie, lorsqu'on a passé le temps des illusions, on ne jouit plus de cette vie, on la traîne. Traînons donc. J'en jouirais délicieusement, madame, si j'étais dans votre voisinage. Mille tendres respects à vous deux et mille remerciements.