1771-06-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Mathieu Henry Marchant de La Houlière.

Le chapelet de vos parents se défile, mon cher brigadier; je suivrai bientôt madame votre mère; mais comme il faut combattre jusqu’au dernier moment, je suis toujours tourmenté de l’idée d’aller passer l’hiver dans un climat chaud, non pas assurément dans une ville de province, mais dans quelque retraite très isolée et très à l’abri du vent du nord.
Je pourrai m’entretenir avec vous, par lettres, de cette idée, vers le mois de septembre, si j’ai la faiblesse d’aimer la vie dans ce temps là.

En attendant, je suis bien aise de vous dire que toutes ces consultations que des médecins donnent de loin sont les plus grandes charlataneries; après quoi viennent celles qu’ils donnent de près. J’ai quelquefois fait des compliments à Tronchin, mais je ne l’ai jamais consulté et je n’ai jamais pris un seul de ses remèdes. J’avais chez moi un de vos parents et des miens nommé d’Aumart, mousquetaire du roi, âgé de 18 ans. Il tomba de cheval; Tronchin imagina de lui couper le muscle de la cuisse; il devint paralytique dès ce moment. Il souffrit des douleurs incroyables pendant dix ans, sans pouvoir remuer. Il est mort de décrépitude et de souffrances, à 28 ans.

Les Romains furent cinq cents années sans avoir de médecins et ne s’en portèrent que mieux.

Sobriété et exercice, voilà la meilleure médecine.

Adieu, mon cher neveu, j’embrasse toute votre famille.