1765-09-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Vous vous êtes donc mis, Monseigneur, à ressusciter les morts?
Vous avez déterré je ne sais quelle Adélaïde morte en sa naissance, et que j'avais empaillée pour la déguiser en Duc De Foix, vous lui avez donné la plus belle vie du monde! Tronchin n'approche pas de vous; quelque grand médecin qu'il soit il ne peut me faire autant de bien que vous en faittes à mes enfans. Je ne désespère pas tandis que vous êtes en train, que vous ne ressuscitiez aussi la femme qui a raison. On prétend qu'il y a quelques ordures, mais les dévotes ne les haïssent pas; que sait-on même, si un jour vous ne ferez pas joüer la princesse de Navarre? La musique du moins en est très belle, et je suis sûr qu'elle ferait grand plaisir; celà vaudrait bien un opéra comique.

Je ne sais si Mlle Clairon rajuste sa santé dans le beau climat de Provence. Je crois que le public ferait en elle une perte irréparable. Vous aurez trouvé que j'ai poussé l'entousiasme un peu loin dans certains petits versiculets; mais si vous aviez vu comme elle a joué Electre dans mon tripot, vous me pardonneriez.

Vous allez vous occuper de plaisirs à Fontainebleau; ces plaisirs là sont de ma compétence; mais il ne m'appartient pas de les goûter à vôtre cour. J'ai environ deux douzaines d'enfans qui se produisent quelque fois sous vôtre protection, mais pour le père il fait fort bien d'aimer sa retraitte, et de ne pas désirer autre chose. Il ne regrette que le bonheur qu'il a eu si longtemps de vous approcher, et d'admirer vôtre gaïeté au milieu de vos affaires de toute espèce.

Ses yeux pochés par le vent du nord ne lui permettent pas de vous écrire de sa main à quel point il est pénétré de respect pour vous, et combien il prend la liberté de vous aimer.

V.